Éthique et société

Polygamie

La polygamie désigne le fait pour un homme d’être marié à une pluralité d’épouses ou pour une femme d’avoir plusieurs époux. C’est une pratique courante dans certaines régions du monde – en particulier dans le monde musulman, mais aussi dans certaines communautés chrétiennes comme les mormons –, mais largement minoritaire en Europe, où le mariage est historiquement associé à l’union de deux personnes. Cette définition du mariage est cependant remise en cause.

Le débat porte généralement sur la reconnaissance légale des unions polygames, sachant qu’il est difficile pour l’État d’interdire les relations à plusieurs sans se montrer très intrusif. L’argument principal en faveur d’une reconnaissance légale est la liberté individuelle de choisir ses partenaires de vie ainsi que leur nombre (aujourd’hui imposé par l’État). Cela soulève cependant une série de questions.

Empiriques : Quel pourcentage de concubines entrent dans une relation polygame sous la contrainte ? Reconnaître la polygamie encouragerait-il le nombre d’unions polygames ? Cela permettrait-il de mieux protéger les femmes concernées ?

Normatives : L’État a-t-il à promouvoir un type d’union (à deux personnes) ? Doit-il s’immiscer dans ce genre de choix ? Doit-il considérer cette pratique comme défavorable aux femmes ?


Homoparentalité

Certains pays reconnaissent aux couples homosexuels le droit d’adopter des enfants, voire d’en concevoir par procréation médicalement assistée. Les principales questions empiriques en jeu consistent à savoir s’il est nécessaire pour le bon développement d’un enfant d’avoir un parent de chaque sexe et si avoir des parents homosexuels peut être néfaste pour un enfant.

Autour de ce débat, se posent de nombreuses questions normatives, telles que : L’État doit-il promouvoir un modèle parental précis ? Si l’on pense qu’un parent de chaque sexe est nécessaire, faudrait-il interdire d’élever un enfant seul ? Si l’on considère que certaines catégories de la population font de meilleurs parents que d’autres (comme les hétérosexuels par rapport aux homosexuels), faudrait-il priver d’autres catégories du droit d’être parent ?


Faut-il légaliser le cannabis ?

De nombreux pays autorisent la vente d’alcool et de cigarettes, mais pas de cannabis. Beaucoup jugent cette situation incohérente. Faudrait-il légaliser la vente et l’achat de cannabis ?

Les débats portent en partie sur des questions empiriques : Le cannabis est-il plus addictif que l’alcool et les cigarettes ? Est-il plus nocif pour la santé ? Quels seraient les effets économiques d’une légalisation ? Cela diminuerait-il la criminalité liée à ce commerce ? Cela encouragerait-il au contraire une consommation accrue, au détriment de la santé publique ?

D’un point de vue normatif, on retrouve des questions telles que : L’État doit-il interférer dans les choix de consommation individuels ? Doit-il protéger la santé de ses citoyens contre leur gré ? Peut-il opter pour la légalisation dans le seul but d’augmenter ses recettes fiscales ? Ne doit-il pas faire tout ce qui est possible pour diminuer la criminalité provoquée par l’interdiction ?

Ressource :

https://ledrenche.fr/2017/03/legaliser-le-cannabis-en-france-1067


Faut-il réduire les subsides aux religions sexistes ?

En Belgique, comme dans d’autres pays, les cultes reconnus sont financés par l’État. Certains estiment que l’État est alors justifié à poser des conditions à son soutien financier. Une condition imaginable serait l’absence de discriminations entre hommes et femmes de la part du culte subsidié. L’Église catholique, par exemple, recevrait moins de subsides tant qu’elle n’accorderait pas aux femmes l’accès à l’ensemble des statuts « privilégiés » (prêtre, évêque, pape). Qu’en penser d’un point de vue éthique ?

Questions empiriques : Les cultes évolueraient-ils dans leurs pratiques sous la pression financière ? Les fidèles seraient-ils offensés ? Cela conduirait-il à des regains de tension entre cultes et État ?

Questions normatives : L’État peut-il se mêler des règles d’organisation internes à un culte ? Accepterions-nous de financer un culte qui refuserait la prêtrise aux personnes de couleur ? Pourquoi est-ce différent dans le cas des femmes ? Le fait que ces règles existent depuis des siècles fait-il une différence d’un point de vue moral ? Le fait qu’elles reposent éventuellement sur des écritures considérées comme sacrées par certains devrait-il faire une différence ? Est-ce légitime de la part des cultes de vouloir à la fois un soutien financier et une autonomie totale ?

Ressource :

Cet exemple est inspiré de Ian Shapiro, « Elements of Democratic Justice », Political Theory, vol. 24, n° 4, 1996, p. 243-244.


Faut-il taxer les anglophones pour offrir des cours d’anglais à tout le monde ?

La langue anglaise se répand de plus en plus dans le monde, générant une forte inégalité linguistique entre les anglophones et les autres. Pour réduire cette inégalité, on pourrait imaginer taxer tous les anglophones pour financer des cours d’anglais gratuits à destination de non-anglophones désireux d’apprendre l’anglais. Cela soulève une série de questions éthiques, telles que : Est-il juste de taxer des personnes pour une chose qui échappe à leur contrôle (leur langue de naissance) ? Les anglophones peuvent-ils être tenus pour responsables de la mondialisation de l’anglais ? Est-il juste de les laisser en profiter même s’ils n’en sont pas responsables ? Cela enverrait-il le message que l’anglais est inévitablement la langue mondiale, qu’on ne peut rien faire pour inverser le cours des choses ?

Ressource :

Cet exemple est inspiré de Philippe Van Parijs, Linguistic Justice for Europe and for the World, Oxford University Press, 2011. Voir aussi ce bref texte en français (qui ne discute cependant pas l’idée d’une taxe).


Les joueuses de tennis doivent-elles gagner autant que les hommes ?

Dans la plupart des tournois de tennis de haut niveau, comme Roland Garros ou Wimbledon, les primes de victoire sont désormais identiques pour les hommes et les femmes. De nombreuses joueuses se sont mobilisées dans le passé pour exiger une telle égalité de traitement. Celle-ci est cependant remise en cause par certains joueurs, arguant qu’ils jouent des matches plus longs, voire plus difficiles, et qu’ils génèrent davantage de revenus. Qu’en penser d’un point de vue éthique ?

Questions empiriques : Les efforts produits par joueurs et joueuses sont-ils identiques ? Sont-ils comparables en raison des différences de capacité physique moyenne entre hommes et femmes ? Les compétitions sportives récompensent-elles vraiment les efforts ou plutôt une combinaison d’efforts et de dispositions naturelles ? Ou alors récompensent-elles seulement en fonction des revenus générés (par les entrées au stade et la télévision) ?

Questions normatives : Le principe de non-discrimination interdit-il nécessairement une rémunération inégale dans un tel cas ? Faut-il récompenser selon le temps passé sur le court, le temps de travail en général, les efforts fournis, ou selon les recettes générées ? L’égalité de traitement est-elle une question de respect ? Des récompenses sportives peuvent-elles être justes ou récompensent-elles nécessairement des personnes déjà avantagées par la nature ? De façon plus large, qu’est-ce qu’un salaire juste ?

Ressources :

– https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/tennis-une-criante-inegalite-152442

– http://www.lemonde.fr/tennis/article/2016/03/21/tennis-l-egalite-des-primes-hommes-femmes-est-elle-injuste_4887245_1616659.html

Joseph Heath, « On the very idea of a just wage« , Erasmus Journal for Philosophy and Economics, 2018.