Éthique et économie

Salaire minimum

La fonction d’un salaire minimum est de s’assurer que ceux et celles qui travaillent reçoivent une rémunération décente, ne soient pas (ou pas trop) exploité.e.s. Prendre la décision d’instaurer un salaire minimum pose d’abord une série de questions empiriques, dont : Quels seront les effets sur le taux d’emploi ? Cela empêchera-t-il certaines entreprises d’engager ? Cela réduira-t-il les pièges à l’emploi ? Cela est-il de nature à stimuler la demande ?

Se posent également une série de questions normatives telles que : Pourquoi ne pas laisser le marché fixer les salaires ? Que faire si cela augmente le taux de chômage ? N’est-il pas prioritaire de rehausser les revenus des personnes sans emploi ? Pourquoi ne pas préférer un crédit d’impôt pour les bas revenus ou un impôt négatif ?

Ressources :

– http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/smic-argumentaire-et-contre-145210

– https://voir.ca/chroniques/prise-de-tete/2016/06/07/ce-fascinant-debat-sur-le-salaire-minimum/


Salaire maximum

Face à l’ampleur des inégalités de revenu dans les sociétés contemporaines, certains préconisent l’introduction d’un salaire maximal. De même que certains pays reconnaissent un niveau de salaire en-dessous duquel personne ne peut être payé, on définirait un niveau de revenu que personne ne pourrait dépasser. À titre d’exemple, certaines entreprises coopératives fixent un écart maximal entre le salaire le plus bas et le plus haut.

Questions empiriques : Y a-t-il un risque qu’une telle pratique encourage les délocalisations ? La fraude ? Quels autres impacts économiques (négatifs ou positifs) peut-on imaginer ?

Questions normatives : Pourquoi ne pas laisser le marché fixer les salaires ? Pourquoi ne pas préférer un impôt progressif sur le revenu (mais qui n’attendrait jamais 100%) ? Existe-t-il un écart de revenu juste ? Quelles inégalités de revenu sont justifiées et lesquelles ne le sont pas ?

Ressources :

– https://www.humanite.fr/sports/cgt/le-salaire-maximal-idee-incontournable

– http://www.atlantico.fr/decryptage/hauts-salaires-fiscalite-salaire-maximum-130777.html


Allocation universelle

L’allocation universelle, également appelée « revenu de base » ou « revenu universel », désigne un revenu distribué à tou·tes les citoyen·nes d’un pays sur base individuelle, indépendamment de leurs revenus1 et sans condition de recherche d’emploi.

Certains y voient un instrument permettant : de lutter efficacement contre la pauvreté du fait de son caractère « automatique » et inconditionnel ; de lutter contre l’exploitation des travailleurs en leur offrant le pouvoir de refuser des emplois dégradants ; d’encourager un meilleur partage du travail ; de réduire certaines situations de dépendance financière au sein des ménages ; etc.

D’autres y voient au contraire un danger d’affaiblissement de la protection sociale (une allocation universelle généreuse étant impossible à financer), de découragement de la solidarité syndicale, d’incitation pour les femmes à rester au foyer, voire une prime à la paresse aux conséquences économiques potentiellement désastreuses.

Questions empiriques : Peut-on financer une allocation universelle généreuse ? Comment ? Est-ce politiquement plausible ? Quel serait l’impact sur l’emploi ? Qui serait bénéficiaire net ? Peut-on obtenir les mêmes résultats en brassant moins d’argent ?

Questions normatives : Est-ce éthiquement acceptable d’offrir un revenu sans condition de contribution ? Faut-il donner aux travailleurs/euses le pouvoir de refuser des emplois ? Faut-il préférer l’argent aux services publics ? Dans quelle mesure ? Est-ce une manière de renoncer à la lutte contre les inégalités de marché ? Contre le capitalisme ?

Ressources :

-Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, Paris, La Découverte, 2005.

-Mateo Alaluf et Daniel Zamora, Contre l’allocation universelle, Montréal, Lux, 2017.

-Pierre-Étienne Vandamme, « Revenu universel« , dans L’Encyclopédie philosophique, 2020.


Faut-il boycotter les produits de l’exploitation ?

Certains biens que nous consommons sont produits dans des pays où les travailleurs sont très peu protégés et travaillent dans des conditions dangereuses pour la santé en échange de salaires de misère. Au vu de cette situation, devrions-nous boycotter ces produits ?

Questions empiriques : Quel est l’impact d’actions de boycott ? Comment savoir dans quelles conditions sont produits les biens que nous consommons ? Ces travailleurs seront-ils mieux lotis si leur entreprise fait faillite ? Le commerce international permet-il aux pays concernés d’élever progressivement leur niveau de vie (et leurs standards sociaux) ? 

Questions normatives : Ne doit-on pas refuser par principe de prendre part à une telle exploitation des travailleurs ? Doit-on viser les meilleures conséquences possibles pour les personnes, quels que soient les moyens ? 

Ressource :

Roland Pierik, « Fighting Child Labor Abroad : Conceptual Problems and Factual Conditions » dans Verna Gehring (éd.), The Ethical Dimensions of Global Development, 2007, p. 47-57.


Faut-il interdire la publicité ?

La publicité est souvent associée à la liberté d’expression. Il s’agit en effet pour ceux qui ont un produit ou un service à offrir de communiquer des informations au grand public sur ce produit ou service. Au vu de la place qu’a prise cette forme de communication dans le monde contemporain, la question se pose de savoir si elle apporte plus de bonnes choses que de mauvaises. Des sommes astronomiques et en inflation constante sont dépensées par les entreprises privées pour obtenir plus de présence ou d’influence publicitaire que leurs concurrentes. La pression à la consommation que cela génère pose problème d’un point de vue environnemental, si pas des problèmes de santé. On peut donc se demander si la pratique ne devrait pas, en dépit de la liberté d’expression, être interdite ?

Questions empiriques : Une telle interdiction est-elle pratiquement possible ? Quel serait son impact sur la consommation ? Sur la pollution ? Sur l’emploi ? Sur la santé des citoyen.ne.s ? Sur les entreprises ?

Questions normatives : La liberté d’expression est-elle absolue ? Peut-elle être limitée en vertu de considérations de justice intergénérationnelle ? De santé publique ? Cela ne reviendrait-il pas à imposer une vision du monde anticonsumériste ? L’État ne doit-il pas intervenir face à un tel gaspillage de ressources ?


Faut-il interdire les publicités sexistes ?

Bon nombre de publicités contribuent à renforcer des stéréotypes genrés. Beaucoup, en particulier, manifestent un certain sexisme en confinant les femmes dans des rôles subordonnés. Au vu de cette situation, certains estiment que ce genre de publicités devraient être interdites.

Cela soulève de nombreuses questions normatives telles que : S’agirait-il d’une atteinte à la liberté d’expression ? L’État doit-il promouvoir un certain type de relations entre hommes et femmes ? Un certain modèle féminin ? En s’abstenant, n’accepte-t-il pas au contraire que ces modèles soient dictés par les publicistes ? Pourquoi s’en prendre au sexisme en particulier ? Doit-on craindre un risque de pente glissante vers un État interférant excessivement avec la liberté d’expression ?


Faut-il interdire la publicité pour l’alcool et les cigarettes ?

L’alcool et les cigarettes sont responsables de milliers de morts chaque année dans le monde. Dans ce contexte, est-il acceptable que l’État autorise la publicité pour ces produits mortels ? Serait-ce différent d’autoriser la commercialisation d’un poison ayant bon goût mais ne tuant qu’une personne sur 100 ? L’État doit-il interférer dans la liberté de choix (incluant la liberté de mettre sa santé en danger) ? A-t-il au contraire pour mission de protéger la santé de ses citoyens même contre leur gré ? Est-ce suffisant d’accompagner ces publicités de messages encourageant une consommation responsable ?


Faut-il défiscaliser les dons ?

En Belgique, les personnes qui effectuent des dons à des associations caritatives peuvent obtenir une réduction d’impôts proportionnelle au montant de ces dons. L’objectif est d’inciter à la générosité envers ces associations. Est-ce une bonne idée ?

Questions empiriques : Les dons ont-ils augmenté depuis qu’ils permettent une réduction fiscale ? Quelle part des donneurs serait tout aussi généreuse sans cette incitation ? Qui de l’État ou des associations est le mieux habilité à agir pour un monde meilleur ? Une telle pratique encourage-t-elle la générosité ou l’évitement de l’impôt ?

Questions normatives : Faut-il inciter les citoyens à faire des dons aux associations caritatives ? Faut-il le faire au détriment des impôts ? N’est-ce pas une forme de constat d’échec de la part de l’État ? L’État doit-il déléguer une part de son pouvoir d’agir aux associations ? La défiscalisation est-elle une manière adéquate d’encourager la générosité ? Ne faudrait-il pas plutôt encourager à payer ses impôts ? Ou mieux communiquer sur les actions que permettent les impôts ?


Blanchir la peau ?

Certaines entreprises cosmétiques vendent des produits visant à se blanchir la peau. L’origine d’une telle pratique esthétique est aisée à deviner : c’est un résidu du racisme blanc et de la hiérarchie qu’il établit entre différentes couleurs de peau. Dès lors, est-il moralement acceptable pour une entreprise de commercialiser un tel produit au seul prétexte qu’il existe une demande pour celui-ci ?

Questions empiriques : ces produits ont-ils un autre usage ou d’autres vertus que le blanchiment de la peau ? Quels sont les différents motifs pour lesquels une personne pourrait vouloir se blanchir la peau ? Quels sont les effets marketing d’actions anti-racistes de la part d’entreprises (voir article du Monde ci-dessous) ?

Questions normatives : la recherche du profit doit-elle être la seule maxime d’action des entreprises ? Les entreprises doivent-elles s’abstenir de juger les actes des consommateurs ? Doivent-elles s’imposer une éthique commerciale ? Doivent-elles être encouragées à agir de la sorte ? Devraient-elles y être obligées ?

Ressources :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/06/27/les-geants-des-cosmetiques-tentent-de-purger-leurs-marques-de-tout-stereotype-raciste_6044418_3234.html

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/29/pourquoi-les-marques-sont-presque-toujours-perdantes-quand-elles-s-engagent-contre-le-racisme_6044616_3210.html


Discrimination positive discrétionnaire

Quand un·e employeur·euse fait face à deux candidat·es à qualités professionnelles égales ou suffisamment proches, doit-il/elle privilégier les candidat·es appartenant à un groupe social désavantagé (femmes, étrangers, personnes issues de l’immigration, porteuses d’un handicap, d’un accent déprécié, de petite taille, au physique désavantageux, etc.) ?

Questions empiriques : quels sont les critères de discrimination interdits par la loi ? Cette interdiction inclut-elle la discrimination positive discrétionnaire (c’est-à-dire laissée à l’appréciation de l’employeur·euse) ? Quels seraient les risques d’une telle pratique ? Les bénéfices ? Les effets pervers éventuels ?

Questions normatives : la discrimination est-elle moralement acceptable quand son intention est de compenser un désavantage préalable ? La possibilité de faire de la discrimination positive doit-elle être laissée à l’appréciation des employeurs·euses ou faire l’objet de politiques publiques ? Quels critères de discrimination positive pourraient être acceptables et lesquels ne le seraient pas ? Un·e employeur·euse peut-il/elle poser des questions sur la vie privée de candidat.e.s (orientation sexuelle, situation familiale, etc.) à des fins de discrimination positive ?


Discriminer pour accueillir davantage d’immigrés ?

La plupart des pays riches font face à une certaine pression migratoire due au fait qu’un grand nombre de personnes souhaitent accroître leur qualité de vie (et celle de leurs proches) en s’installant dans un pays offrant de meilleures perspectives économiques. Ces pays sont généralement assez peu ouverts à une telle immigration économique, craignant qu’une politique de frontières ouvertes représente un coût excessif pour le budget de l’État. Si toute immigration n’est pas coûteuse pour le pays d’accueil (au contraire, les immigrés trouvant du travail deviennent vite une source de revenus supplémentaires pour l’État, par leurs taxes, cotisations ou innovations), la crainte est d’accueillir un grand nombre de personnes peu qualifiées et ne parlant pas une langue nationale, ce qui complique la recherche d’emploi et est susceptible d’avoir des répercussions sur le budget de l’assistance sociale, à laquelle ont généralement droit les immigrés légaux. Arguant du fait que la générosité des conditions d’accueil (en particulier l’accès à l’assistance sociale) empêche d’accueillir davantage de monde, certains proposent de limiter (temporairement) l’accès à la protection sociale des immigrés légaux. Cela permettrait à la fois d’accueillir davantage de personnes et de les inciter à immigrer là où il est plus aisé de trouver du travail plutôt que là où la protection sociale est la plus généreuse.

Questions empiriques : Quels sont les effets de différents types d’immigration sur l’économie des pays d’accueil ? Quelle est la proportion d’immigrés bénéficiant de l’assistance sociale par rapport à ceux qui ont un emploi ? Quelle est la durée moyenne d’inscription des nouveaux venus dans le marché de l’emploi ? Quels sont les effets de l’émigration pour les pays d’origine ? L’immigration des pays pauvres vers les pays riches réduit-elle les inégalités mondiales ?

Questions normatives : La discrimination est-elle moralement acceptable quand ses conséquences sont positives pour le groupe discriminé pris dans son ensemble ? Est-il acceptable d’instaurer un régime de citoyenneté de seconde classe ? Si la discrimination est temporaire, est-elle plus acceptable ? Vaut-il mieux être généreux avec peu de personnes ou moins généreux avec un plus grand nombre ? Les nombres comptent-ils dans le raisonnement moral ?

Ressources :

Branko Milanovic, « There is a trade-off between citizenship and migration« , Financial Times, 20 avril 2016.

Branko Milanovic, Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalization, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2016.

Anna Stilz, « Guestworkers and second-class citizenship », Policy and Society, 29 (4), 2010, p. 295-307

  1. Cependant, si cette allocation est financée par une taxation progressive des revenus, les plus hauts revenus verront leur allocation absorbée par leurs taxes. ↩︎