Éthique biomédicale

Avortement

L’interruption volontaire de grossesse, ou avortement, a toujours suscité d’importants débats, en particulier dans les sociétés très religieuses, où beaucoup estiment que la vie humaine est sacrée et qu’on ne peut mettre un terme à une vie humaine, aussi embryonnaire soit-elle. Aujourd’hui dans des pays comme la Belgique, la France ou le Canada, il s’agit d’un droit protégé par la loi – la France l’ayant même consacré dans sa Constitution (Art. 34). Néanmoins, il existe encore un certain nombre d’opposants à ce droit, même dans ces pays où le consensus est assez large, tandis que dans d’autres contextes, comme les États-Unis, le débat demeure extrêmement politisé. Au-delà du rappel à la loi, on ne peut donc pas faire l’impasse sur la réflexion éthique sur les fondements de ce droit, qui n’est pas universellement reconnu.

Les partisans du droit à l’avortement (dans des conditions à spécifier, comme l’âge limite du fœtus) mettent généralement en avant la liberté des femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent, et nient le statut de « personne » du fœtus en développement.

Un débat philosophique important porte donc sur le statut de personne, car on considère souvent que l’interdit du meurtre ne s’applique qu’aux personnes. À partir de quel stade de développement un embryon acquiert-il les attributs d’une personne ? Avant ou au moment de la naissance ? L’avortement peut-il être acceptable même si l’embryon a déjà certains attributs d’une personne ?

Certains avancent toutefois que cette question de l’accès au statut de personne n’est pas centrale. Ce qui est en jeu, c’est plutôt la liberté de disposer de son corps, ou encore la liberté de se débarrasser d’un corps intrusif, non désiré1. Cela soulève également d’autres types de questions. Des hommes peuvent-ils décider pour des femmes ce qu’elles doivent faire de leurs corps ? Peut-on dire qu’il s’agit de disposer de son propre corps quand un autre corps est en développement à l’intérieur ? À partir de quel stade de développement du fœtus l’intérêt de la mère cesse-t-il éventuellement de primer sur celui de l’enfant potentiel ?

Enfin, une partie du débat porte sur les conséquences de la légalisation ou de l’interdiction de l’avortement. Ainsi, beaucoup de partisans de la légalisation font valoir le fait que l’avortement est inévitablement pratiqué et qu’il l’est dans des conditions extrêmement dangereuses pour les femmes en l’absence d’un accompagnement médical adéquat. Le fond de la question est empirique, mais elle soulève également des questions éthiques telles que : Les risques qu’encourent les femmes qui avortent sans suivi médical adéquat suffisent-ils à justifier la légalisation de l’avortement ? Ne faut-il pas s’entendre préalablement sur la question du droit à disposer de son corps ?

Ressources : 

Rapport du Comité interuniversitaire, multidisciplinaire et indépendant en charge de l’étude et de l’évaluation de la pratique et de la loi relatives à l’interruption de grossesse, Belgique, 2024.

https://ledrenche.fr/2017/06/histoire-le-combat-de-simone-veil-faut-il-autoriser-livg


Euthanasie

Bien que dépénalisée depuis 2002 en Belgique, l’euthanasie continue de faire l’objet de débats éthiques du fait qu’il s’agit d’une pratique à mi-chemin entre le suicide, qui est souvent considéré comme relevant de la liberté de choix individuelle (sauf dans certaines éthiques d’inspiration religieuse, ou chez Kant par exemple) et le meurtre, qui est universellement proscrit. On parle d’ailleurs souvent à ce sujet de « suicide assisté », même si le terme est contesté.

Les questions soulevées sont essentiellement d’ordre normatif : aider quelqu’un à mourir est-il assimilable à un meurtre ? Le consentement de la personne qui souhaite mourir ne change-t-il pas profondément le statut de ce geste ? Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’on puisse établir le consentement ? Faut-il imposer un âge minimum pour avoir accès à l’euthanasie en plus des autres exigences de consentement éclairé ? Peut-on juger le rapport d’autrui à sa souffrance et interférer dans un tel choix ? Faut-il tenir compte d’un risque que certains soient encouragés à demander l’euthanasie pour des raisons budgétaires, comme l’avancent certains opposants ?

Actualité

Une manière d’amener ce débat est de partir de la récente invention d’une capsule de suicide assisté appelée « Sarco », qui permet à des personnes de mettre fin à leurs jours de façon paisible, sans douleur, et sans l’intervention d’un tiers (autre que le fournisseur de l’appareil). Cette invention soulève une série de questions telles que : « Comment vérifier le consentement éclairé des personnes qui en font usage ? » et « Est-il éthiquement acceptable de commercialiser l’accès à l’euthanasie ? »

Ressource :

Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, France, 2024.

https://ledrenche.fr/2015/01/faut-il-autoriser-leuthanasie-en-france

Documentaire Les Mots de la fin, ARTE.

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/24/fin-de-vie-en-suisse-plusieurs-arrestations-apres-l-utilisation-d-une-capsule-d-assistance-au-suicide_6331376_3210.html

https://www.lesoir.be/625042/article/2024-09-25/une-americaine-de-64-ans-meurt-dans-la-capsule-de-suicide-assiste-sarco-en

En cas de détresse

La ligne d’appel du centre de prévention du suicide est disponible 7j/7 et 24h/24 au 0800-32.123. Des aides et ressources sont aussi disponibles sur les sites preventionsuicide.be et un-pass.be


Diagnostic prénatal

La technologie médicale actuelle permet de détecter un certain nombre de malformations génétiques avant la naissance. Récemment, l’État belge a décidé de rembourser une analyse sanguine permettant de détecter notamment la trisomie 21 dans le premier trimestre de grossesse. Ceux qui s’opposent à l’avortement sont susceptibles de percevoir cela comme une incitation à avorter quand une malformation se présente. Pour d’autres, il s’agit de permettre aux parents d’être informés par rapport aux risques que leur futur enfant encourt. Quoi qu’on pense de l’avortement, cette nouvelle possibilité pose la question de l’eugénisme, à savoir la sélection avant la naissance des individus dotés du meilleur patrimoine génétique.

Questions empiriques : Quel est l’impact de cette pratique sur les taux d’avortement ? Comment le dilemme éthique qui peut se présenter aux parents (avorter ou pas ?) est-il vécu par eux ? Quel est le coût annuel d’un remboursement de cette analyse pour tous les citoyens belges ?

Questions normatives : Faut-il tout faire pour que les futurs parents soient pleinement informés du patrimoine génétique de leur futur enfant ? Peut-on considérer cela comme un encouragement à l’avortement ? À l’eugénisme ? Si c’est le cas, est-ce un problème ? Toute forme de vie doit-elle être protégée ? Peut-on dire qu’il est dans l’intérêt du futur enfant de naître ou de ne pas naître ? Peut-on juger à la place de ce futur enfant quelle vie mérite d’être vécue ? Les intérêts des parents sont-ils prioritaires par rapport à ceux de l’enfant potentiel ?

Ressource :

https://www.rtbf.be/info/societe/detail_le-test-prenatal-rembourse-un-test-plus-fiable-et-moins-dangereux?id=9619672


Gestation pour autrui

La gestation pour autrui (GPA) est une forme de procréation médicalement assistée dans laquelle une mère porteuse accepte de porter l’embryon pour quelqu’un d’autre, le ou les parents « d’intention » adoptant l’enfant dès la naissance.

Certains pays autorisent cette pratique seulement quand elle est volontaire et non rémunérée. D’autres autorisent une rémunération en échange du service. Ces deux pratiques soulèvent des questions distinctes.

Questions empiriques : La rémunération encourage-t-elle la pratique ? Beaucoup de femmes sont-elles contraintes à faire cette action, soit par la force, soit par nécessité économique ? Quel peut être l’impact sur l’enfant ? Les liens d’attachement prénataux avec la mère porteuse sont-ils réels ? Quelle est leur importance dans le développement de l’enfant ?

Questions normatives : En l’absence de toute contrainte affectant le consentement de la mère porteuse, cet acte pose-t-il un problème éthique ? Le fait qu’il permette à certaines personnes d’avoir un enfant alors qu’elles sont dans l’incapacité d’avoir un enfant par voie biologique directe l’emporte-t-il sur les éventuels effets négatifs de cette pratique ? Pourquoi accepterions-nous l’adoption, mais pas la GPA ? Y a-t-il une distinction éthiquement pertinente entre les deux ?

Par ailleurs, y a-t-il des raisons d’interdire la marchandisation de ce service ? Peut-on voir dans la rémunération une forme de juste dédommagement pour la charge indéniable que constituent la grossesse et l’accouchement ? Doit-on craindre des effets néfastes de la marchandisation de ce service sur l’authenticité du consentement des mères porteuses ?

Ressources :

https://ledrenche.fr/2016/09/pour-ou-contre-la-gpa-1013

http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-conception-neutre-de-la-Gestation-Pour-Autrui.html


Encadrer la circoncision féminine ?

Il existe une pluralité de pratiques de circoncision féminine, dont l’excision, qui consiste en l’ablation (d’une partie) du clitoris externe. Il s’agit d’une pratique traditionnelle très ancienne exercée essentiellement en Afrique, mais aussi dans certaines communautés d’Asie et d’Amérique du Sud. Elle marque un rite de passage, à l’instar de la circoncision masculine. Cette dernière, plus largement pratiquée, est moins controversée2, à la fois parce qu’elle entraîne moins de douleurs et parce qu’elle est parfois recommandée pour raisons médicales (controversées).

En Amérique du Nord, des médecins se sont rendus compte que le nombre d’opérations de circoncision féminine n’avait pas diminué malgré les campagnes de dissuasion et ont dès lors opté pour une position de compromis : proposer d’opérer les jeunes filles, mais avec des mutilations plus légères, à l’hôpital, dans de bonnes conditions d’hygiène, plutôt que les laisser être opérées illégalement dans des conditions (extrêmement) douloureuses et dangereuses pour la santé. Actuellement, cependant, l’Organisation mondiale de la santé interdit aux médecins de pratiquer ce type d’opération. Cela suscite un débat éthique intéressant.

Questions empiriques : Quel effet aurait la légalisation sur les taux les pratiques ? Que savons-nous des souffrances et risques liés à cette pratique dans les conditions actuelles ?

Questions normatives : Doit-on protéger l’intégrité physique à tout prix ? Doit-on trouver un équilibre entre ce droit et le respect des pratiques culturelles ? La question prioritaire est-elle plutôt celle des risques sanitaires ?

Ressources :

– Arora KS, Jacobs AJ. « Female genital alteration: a compromise solution »Journal of Medical Ethics 42, 2016, p. 148-154.

– Andro Armelle, Lesclingand Marie, « Les mutilations génitales féminines. État des lieux et des connaissances », Population, 2016/2 (Vol. 71), p. 224-311.


Faut-il légaliser le dopage ?

Le dopage consiste à améliorer ses performances sportives ou physiques par le biais de produits interdits (ou du moins interdits dans le sport concerné). Outre les questions de santé, qui soulèvent des enjeux similaires à la consommation d’alcool ou de cannabis, se posent des questions distinctes telles que : Interdire le dopage n’est-il pas une manière de favoriser les plus fourbes, ceux qui passent entre les mailles du filet lors des contrôles ? Les compétitions sportives ne seraient-elles pas plus équilibrées si tout le monde avait le droit de se doper ? Ne serait-ce pas plus égalitaire qu’une compétition favorisant les talents naturels ? Au contraire, est-ce que cela créerait de nouvelles inégalités en raison du coût des produits dopants ?

Ressources :

– https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2012-2-page-321.htm

– https://www.franceculture.fr/emissions/science-publique/club-science-publique-faut-il-legaliser-le-dopage-sportif

– http://www.lalibre.be/sports/omnisports/et-si-nous-legalisions-le-dopage-51b8ef72e4b0de6db9c791d8


Faut-il arrêter de subsidier l’homéopathie ?

Il semble exister un certain consensus scientifique sur le fait que l’homéopathie n’a pas plus d’efficacité médicale qu’un placebo. Pourtant, de nombreux pays assurent le remboursement (partiel) de produits homéopathiques prescrits par des médecins. Est-ce justifiable, sachant que les ressources de l’État sont limitées et que cet argent pourrait-être mieux utilisé ?

Questions empiriques : L’effet placebo est-il significatif ? Un arrêt des remboursements aurait-il un effet négatif sur la santé publique en raison de cet effet placebo ? Au contraire, cela encouragerait-il les gens à se tourner vers des médicaments plus efficaces ?

Questions normatives : Ne faut-il pas laisser aux gens la liberté de choix par rapport à leurs traitements médicaux ? Faut-il au contraire décourager les pratiques médicales dont l’efficacité est douteuse ? Notre position doit-elle dépendre du degré de consensus de la communauté scientifique par rapport à l’homéopathie ?

Ressources :

Ce cas s’inspire directement de Steve Clarke, « Homeopathy : an undiluted proposal », dans David Edmonds (dir.), Philosophers Take on the World, Oxford University Press, 2016, p. 39-41.


Prémunir les hommes contre la violence ?

Un simple coup d’œil sur les statistiques concernant les actes de violence et les taux d’incarcération permet de se rendre compte que les hommes sont en moyenne beaucoup plus enclins à la violence que les femmes. Cela s’expliquerait en partie, outre par une éducation différenciée en fonction du genre, par des facteurs biologiques tels que l’impact de la testostérone sur la disposition à la violence. Si nous disposions d’un traitement hormonal permettant de réduire la disposition des hommes à la violence, faudrait-il l’imposer à tous ?

Cette possibilité soulève une série de questions éthiques : Pourquoi accepterions-nous des traitements différenciés en lien avec les risques de cancer (prostate ; sein) et pas en lien avec les risques de violence ? Pourrait-ce paraître irrespectueux de considérer les hommes comme plus enclins à la violence ? Faudrait-il isoler des catégories plus restreintes de la population encore plus enclines à la violence et ne traiter que celles-là ? En quoi cela se distinguerait-il de l’eugénisme ? De la vaccination ?

Ressources :

Paula Casal, « L’amour, pas la guerre. Sur la chimie du bien et du mal »Projections, 25 mars 2016.

  1. Dans un article philosophique célèbre, Judith Jarvis Thomson propose l’expérience de pensée suivante : si pendant votre sommeil on vous greffait un violoniste dans le dos, puis qu’on vous disait qu’il ne peut survivre que s’il utilise votre corps pour se nourrir pendant 9 mois, vous auriez le droit de lui refuser l’usage de votre corps. Il en va de même avec un fœtus, que ce soit une personne ou pas. « A defense of Abortion »Philosophy & Public Affairs, 1971, n° 1, p. 47-66. ↩︎
  2. Le Comité consultatif de bioéthique belge s’est néanmoins prononcé de manière ambivalente sur la pratique de la circoncision masculine non-thérapeutique. Certains membres estiment en effet qu’elle porte atteinte à l’intégrité physique (étant irréversible) et pose particulièrement problème quand elle est pratiquée sur des mineurs n’étant pas en mesure de donner leur consentement éclairé. Voir https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/avis_70_circoncision.pdf ↩︎