Éthique et morale
L’agir éthique ou moral est une dimension constitutive de la condition humaine, qui se manifeste :
- dans la conscience personnelle du bien et du mal, du juste et de l’injuste (dimension subjective de la vie éthique ou morale) ;
- dans l’existence de doctrines et codes moraux plus ou moins socialement reconnus et élaborés (dimension objective/sociale de la vie éthique ou morale).
De nombreuses personnes distinguent conceptuellement éthique et morale. Une première distinction possible consiste à considérer l’éthique comme l’étude philosophique de la dimension morale de l’existence humaine. Dans ce sens, la morale serait l’objet de l’éthique – qui, elle, serait une discipline philosophique.
Dans le même ordre d’idées, la Commission de l’éthique en science et en technologie (Québec) propose la distinction suivante : la morale « réfère à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, l’acceptable de l’inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer » ; l’éthique est pour sa part « une réflexion argumentée en vue du bien agir »1 (donc une réflexion sur ces valeurs et principes moraux).
Certains philosophes opèrent une distinction différente encore. Pour Jürgen Habermas et Paul Ricœur, par exemple, les normes morales ont un caractère universel que ne possèdent pas les normes éthiques, plus relatives à une conception particulière de la vie bonne2. Chez Habermas, la distinction entre morale et éthique s’aligne sur la distinction qu’opèrent de nombreux philosophes de tradition libérale entre le « juste » (universel) et le « bien » (relatif à une culture particulière)3.
Hors des débats philosophiques, il convient également de noter une différence de connotation dans le langage courant entre ces deux termes. Le substantif « la morale » possède en effet une connotation négative (« faire la morale » ; « moralisme ») que ne semble pas posséder « l’éthique ». Il peut également revêtir une connotation plus religieuse ou traditionaliste que « l’éthique ». Ces connotations expliquent sans doute le recours de plus en plus fréquent au terme « éthique » à la place du terme « morale ».
Il importe cependant de souligner qu’il n’existe pas de distinction canonique sur laquelle la plupart des gens s’entendraient et qu’on n’est pas obligé de distinguer ces deux termes. Ils peuvent aussi être utilisés de manière interchangeable, l’un (« éthique ») ayant une origine grecque, l’autre (« morale ») latine – les deux renvoyant aux mœurs. Dans ce cas, on privilégiera une définition commune, comme par exemple : ensemble de principes ou de normes relatifs au bien ou au mal qui permettent de juger les actions humaines4. Sur ce site, c’est cette définition commune (et donc l’usage comme synonymes) que nous adoptons.
Éthique et droit
L’éthique et la morale se distinguent du droit positif en ceci que les normes morales ne sont pas nécessairement incarnées dans des lois et que des lois peuvent très bien être immorales. Étant donné cette différence, enfreindre des normes morales n’est pas nécessairement passible de poursuites judiciaires. Il faudrait pour cela que la norme morale soit également une norme légale. La sanction dont s’accompagne généralement la transgression d’une norme morale qui n’est pas par ailleurs une norme légale, c’est plutôt la désapprobation, voire la mise à l’écart par les membres de la communauté partageant cette norme morale.
Certaines approches éthiques se réfèrent à des droits « naturels » ou « moraux » dont seraient porteurs les individus ou groupes. Ces droits peuvent se distinguer du droit positif par leur caractère aspirationnel : ils ont généralement vocation, aux yeux de celles et ceux qui les invoquent, à devenir des droits positifs, mais ne le sont pas encore nécessairement.
Le droit positif, quant à lui, évolue en partie en fonction de l’évolution des normes éthiques ou morales au sein de la société, en particulier quand elles sont portées par des combats ou revendications politiques. En raison de ce caractère évolutif du droit et des luttes politiques qui accompagnent cette évolution, il arrive fréquemment que des lois soient considérées comme injustes par une partie de la population. Celles-ci peuvent alors être contestées politiquement, voire donner lieu à des actions de désobéissance (civile ou incivile) quand l’injustice paraît profonde.
Enfin, il faut noter que tout ce qui paraît souhaitable d’un point de vue éthique ou moral n’a pas nécessairement vocation à prendre forme de loi. Personne ne souhaite par exemple une loi interdisant le mensonge (les recours en justice seraient trop nombreux). Certains estiment par ailleurs que la loi ne doit pas être trop intrusive par rapport aux actes privés. À ce titre, on s’oppose par exemple à des lois condamnant l’adultère, comme il en existe dans certains pays. Cela renvoie à différentes conceptions du rôle de l’État (voir « Neutralité et perfectionnisme »).
Méta-éthique – éthique normative – éthique appliquée
L’éthique, comme discipline philosophique, se décline en au moins trois champs distincts. La méta-éthique est la réflexion philosophique sur les jugements moraux. D’où viennent-ils ? Ont-ils une portée universelle ? En quoi se distinguent-ils d’autres types de jugements ?
L’éthique normative désigne la réflexion sur le contenu de nos obligations morales. Il s’agit ici de défendre une perspective éthique particulière, par exemple déontologique ou conséquentialiste. Au sein de l’éthique normative, on peut distinguer l’éthique individuelle, ou philosophie morale, qui se concentre essentiellement sur les obligations individuelles, de l’éthique sociale, ou philosophie politique, qui étudie les obligations collectives concernant l’organisation de la vie en société. Pour certains, il s’agit de champs à bien distinguer, tandis que pour d’autres ces deux champs se recoupent, partiellement ou totalement5.
Enfin, l’éthique appliquée est un prolongement de l’éthique normative dans l’étude de cas très concrets, tels que l’avortement, l’euthanasie, les enjeux de nouvelles technologies, etc. Il s’agit ici moins ici de justifier une perspective normative que de l’appliquer afin de résoudre un dilemme ou de recommander un certain type d’action. (Une « banque » de cas éthiques pour s’exercer à l’éthique appliquée est proposée sur ce site.)
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- http://www.ethique.gouv.qc.ca/fr/ethique/quest-ce-que-lethique/quelle-est-la-difference-entre-ethique-et-morale.html ↩︎
- Habermas, L’éthique de la discussion, Paris, Cerf, 1992, p. 39-40 ; Paul Ricœur, « Éthique et morale », dans Lectures I : autour du politique, Paris, Seuil, 1991, p. 258-270. Une confusion peut cependant naître du fait qu’Habermas parle d’éthique de la discussion pour qualifier la recherche collective d’un point de vue moral à travers la discussion. Or, cette éthique de la discussion qui est « procédurale » peut, au contraire des éthiques « substantielles », prétendre à l’universalité. ↩︎
- Voir Charles Taylor, « Le juste et le bien », Revue de métaphysique et de morale, vol. 93, n° 1, 1988, p. 33-56. ↩︎
- Inspiré de Monique Canto-Sperber & Ruwen Ogien, La philosophie morale, Paris, PUF, 2017, p. 5. ↩︎
- Voir Charles Larmore, « Qu’est-ce que la philosophie politique ? », Phares, n° 10, 2010. ↩︎