Conseils pédagogiques

Cette section, quelque peu hétérogène, regroupe une série de conseils aux enseignant·es en éthique, allant de pistes pour intéresser certains publics à la démarche éthique jusqu’à des manières de faire face à des attitudes relativistes, dogmatiques ou complotistes de la part des étudiant·es.

Cette section se veut également un lieu d’échange de conseils et bonnes pratiques. Écrivez-nous pour nous faire part des vôtres !

Comment intéresser des étudiant·es en économie à l’éthique ?

La démarche éthique dénote dans la formation de la plupart des étudiant·es, puisqu’on leur demande généralement de laisser de côté la subjectivité et les jugements de valeur pour se concentrer sur l’étude des faits.

Une porte d’entrée possible vers l’éthique consiste à mettre en avant la normativité implicite de la science économique traditionnelle : maximiser le bien-être collectif, entendu dans un sens très particulier (bien-être matériel). Or, ce point de vue normatif qui n’est pas toujours assumé pose un grand nombre de questions éthiques qui devraient intéresser les étudiant·es en économie :

  • Maximiser la création de richesses, ou le bien-être matériel, est-ce la même chose que maximiser le bien-être subjectif ? Les gens les plus riches sont-ils les plus heureux ? Les sociétés les plus riches sont-elles les plus heureuses ? Quelle est la corrélation entre bien-être matériel et bien-être subjectif1 ?
  • Le bien-être est-il la meilleure mesure du progrès social ? Cela renvoie aux critiques adressées à l’utilitarisme. Ne faut-il pas également prendre en compte les inégalités, le sort des plus défavorisés ou encore la distribution des capabilités fondamentales2 ?
  • Le bien-être collectif est-il plus important que la liberté individuelle ? Cette question renvoie à la critique libertarienne de l’utilitarisme et au débat consistant à savoir ce qui justifie ultimement le capitalisme : la maximisation des richesses collectives ou la liberté individuelle3. Si c’est la liberté qui prime, on peut alors s’interroger sur le type de liberté que promeut le capitalisme de marché4.

Une autre porte d’entrée possible, particulièrement pertinente pour des étudiant·es en gestion ou commerce, consiste à les placer devant leurs futures responsabilités de dirigeant·es d’entreprises. Leur seul devoir est-il de maximiser les profits ? Pour faire réfléchir à cette question, il peut être utile de les placer devant des dilemmes éthiques mettant la poursuite du profit en tension avec d’autres impératifs potentiels. Exemples :

  • Les entreprises doivent-elles se soucier du bien-être des travailleur·euses ? Si oui, pourquoi ? Parce que c’est un meilleur calcul à long terme ou parce que c’est leur responsabilité sociale ? Et si une entreprise est soumise à une telle concurrence qu’elle n’a pas d’autre choix que de mettre sous une énorme pression ses employé·es sous peine de faillite, est-ce justifié de le faire ? Vaudrait-il mieux faire faillite et essayer une autre activité ?
  • Les entreprises qui vendent de la crème blanchissante, utilisée par des personnes de couleur pour se blanchir la peau, doivent-elles se soucier du fait qu’elles contribuent à une pratique aux soubassements racistes évidents ? Doivent-elles plutôt rester neutres par rapport aux choix de consommation de la population, ne s’intéresser qu’à la demande ?
  • Les entreprises qui contribuent à la détérioration de l’environnement doivent-elles prendre des mesures pour compenser leur empreinte écologique ?

Enfin, on peut également entrer dans l’éthique économique par le biais de la consommation, en questionnant les habitudes de consommation et en mettant en avant leur impact sur les conditions de travail des employé.e.s comme sur l’environnement. Nous faisons tous régulièrement des choix de consommation. Ces choix ne sont pas moralement neutres, puisqu’ils ont des impacts sur autrui. Ne sommes-nous dès lors pas tenus de réfléchir à ces actes et d’agir de manière responsable ? Ceci permet d’introduire aux différentes perspectives éthiques que sont le déontologisme, le conséquentialisme et léthique des vertus.

Ressources :

→ Ressources :

- Christian Arnsperger et Philippe Van Parijs, Éthique économique et sociale, Paris, La Découverte, 2003.
- Amartya Sen, Éthique et économie et autres essais, Paris, PUF, 2012.
- Marc Fleurbaey, Théories économiques de la justice, Economica, 1996.
- Michael Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter : les limites morales du marché, Paris, Points, 2016.
- Isabelle Cassiers (dir.), Redéfinir la prospérité, Paris, L’Aube, 2013.

Comment intéresser des étudiant·es en sciences ?

Qu’est-ce qui pourrait susciter l’intérêt de ceux qui étudient les sciences de la nature ou la technologie pour la démarche éthique ? Sans doute l’accent doit-il être mis sur l’impact que le développement des sciences et techniques a sur la société. Différents types d’exemples peuvent être mis en avant pour illustrer la nécessité de réfléchir à ce développement de manière éthique :

  • Ce que le développement technique pourrait changer dans les relations humaines (reproduction artificielle, intelligence artificielle, disparition de nombreux emplois, coexistence avec des robots intelligents, statut moral des robots humanoïdes).
  • Les inégalités sociales devant la technologie
  • Les enjeux environnementaux du développement technique

À travers ces exemples, l’enseignant·e peut mettre en avant la nécessité d’une réflexion normative. Les progrès scientifiques et techniques ont un impact énorme sur les relations sociales et sur l’environnement. Dès lors, ceux et celles qui contribuent au développement des sciences et techniques portent une part de la responsabilité de cet impact. Ils et elles ne peuvent faire l’impasse sur une réflexion éthique.

Par ailleurs, il semble inévitable de mettre en avant le lien (indissociable) entre progrès scientifiques et dynamique économique, au moyen de questions telles que :

  • Qu’est-ce qui motive la recherche scientifique ? Quels peuvent être les effets pervers d’une motivation pécuniaire (sur l’environnement, sur l’indépendance scientifique) ?
  • Pourrait-on poursuivre les progrès techniques sans croissance économique (s’il est vrai que cette dernière nuit à l’environnement) ?
  • Quels devraient être les visées du progrès technique ? Produire plus ? Consommer plus ? Améliorer nos vies ? De quel point de vue ?
  • L’obsolescence programmée, induite par la logique (défaillante) de marché, n’est-elle pas contraire au progrès technique ? Que peut-on faire pour y remédier ?

Par ce biais, une réflexion éthique sur les sciences et techniques ne manquera pas d’introduire à une réflexion sur l’éthique économique.

Ressources :
- Bernard Feltz, La science et le vivant : philosophie des sciences et modernité critique, De Boeck, 2014.
- Gilbert Hottois, Qu’est-ce que la bioéthique ? Paris, Vrin, 2004.
- Jürgen Habermas, L’avenir de la nature humaine : vers un eugénisme libéral ?, Paris, Gallimard, 2012.

Comment intéresser des étudiant·es en droit ?

Introduire des étudiant·es en droit à l’éthique peut s’avérer ardu du fait que leur formation insiste lourdement sur la normativité juridique, sur le droit positif, qui risque d’étouffer toute autre forme de réflexion normative. Or, il est essentiel que des juristes s’interrogent sur le caractère juste ou injuste, légitime ou illégitime du droit positif, et qu’ils apprennent donc à se positionner sur des questions éthiques en-dehors de toute référence au droit positif.

La première chose à faire consiste donc sans doute à bien distinguer le champ du droit de celui de la morale, en mettant en évidence le caractère évolutif du droit et ses interactions avec la morale.

Ensuite, au moins deux portes d’entrée dans la matière sont possibles. La première consiste à étudier des questions éthiques propres au domaine juridique, comme les fondements de l’état de droit, l’impartialité des juges ou la déontologie des avocat·es.

La seconde se détache davantage du domaine spécifique du droit, en partant de la question de la désobéissance civile. Sommes-nous toujours moralement tenus d’obéir aux lois ? Pourquoi (pas) ? Dans quelles conditions les lois perdent-elles leur autorité morale ? Cette réflexion amène vers les théories de la démocratie – plus particulièrement les fondements de la règle de majorité et la protection des minorités. Plutôt que de l’éthique appliquée au droit, on fera donc ici plutôt de la philosophie politique.

Le thème de la désobéissance civile pose également des questions de philosophie morale. Quelle est notre responsabilité personnelle face aux injustices ? Est-ce moralement condamnable d’obéir à des lois injustes ? Comment sommes-nous tenus de réagir à titre individuel (comme citoyen, ou comme juriste) face aux injustices sociales que protège le droit positif (faute de les condamner) ? C’est une manière d’amener vers les grandes perspectives éthiques que sont le déontologisme, le conséquentialisme et léthique des vertus.

Ressources :
- Benoît Frydman et Guy Haarscher, Philosophie du droit, Dalloz, 2010.
- Dominique Terré, Les questions morales du droit, Paris, PUF, 2007.
- Didier Mineur, Le pouvoir de la majorité : fondements et limites, Paris, Classiques Garnier, 2017.

Comment éviter le moralisme ?

Donner un cours d’éthique sans adopter un ton moralisateur est un défi pour tous ceux et celles qui enseignent l’éthique (comme pour d’autres enseignant·es). Non seulement l’attitude moralisatrice a de bonnes chances d’être inefficace, en ce qu’elle risque de susciter une résistance de la part d’étudiant·es non soumis à l’autorité professorale, mais elle est en outre inadéquate à deux égards au moins.

D’abord, nous vivons dans des sociétés pluralistes, respectant la diversité des convictions morales compatibles avec une morale commune. Dès lors, l’éducation publique n’a pas vocation à promouvoir une morale « maximaliste »5, très prescriptive par rapport aux conduites individuelles. Elle doit plutôt se centrer sur des principes acceptables par tou·tes et ayant vocation à assurer la coexistence harmonieuse d’une pluralité de convictions et pratiques dans une société juste.

Ensuite, aucun code moral ne devrait être tenu pour vrai et non négociable de la part d’un·e enseignant·e en éthique. Quelles que soient les convictions profondes des enseignant·es, l’honnêteté intellectuelle recommande une attitude faillibiliste se caractérisant par le doute et la disposition à remettre en question toutes les normes et convictions, y compris les siennes.

Dès lors, un cours d’éthique ne devrait pas, de notre point de vue, viser la transmission ou l’inculcation de certaines valeurs ou normes prédéfinies, mais plutôt stimuler une réflexion éthique autonome de la part des étudiant·es, développer le jugement et l’argumentation éthiques, voire promouvoir la concordance entre les jugements éthiques et les actes.

Comment faire face au relativisme ?

Quand on introduit pour la première fois à la réflexion éthique des étudiant·es dont ce n’est pas la spécialisation, il est fréquent qu’ils fassent preuve d’un important relativisme moral. Beaucoup sont naturellement amenés à penser que le jugement éthique est purement subjectif, ou que les règles morales dépendent d’une culture à l’autre sans qu’il soit possible de les hiérarchiser ou d’arbitrer un conflit entre des codes moraux différents. C’est sans doute le plus grand défi qu’on puisse poser à la pensée éthique.

À la fois, ce relativisme a du bon. Il est moins susceptible de mener à des conflits qu’une position absolutiste ou dogmatique. Il semble à première vue plus favorable à la tolérance. Et en même temps, il ne permet pas vraiment de comprendre pourquoi il faut tolérer certaines divergences d’opinion (si toutes les opinions se valent, l’intolérance vaut autant que la tolérance) et pourquoi il est parfois bon de se battre pour certaines causes. Par ailleurs, il n’encourage pas à se mettre à l’écoute des autres et à adopter l’attitude d’humilité consistant à se dire qu’ils pourraient avoir raison, qu’on pourrait avoir tort. Il peut donc paraître important, d’un point de vue éthique, de nuancer le relativisme des étudiant·es.

La première chose à faire consiste à placer les étudiant·es tenté.e.s par le relativisme devant les conséquences de cette posture. On peut d’abord leur expliquer qu’il ne leur est plus nécessaire (et qu’il est même absurde) de discuter avec d’autres de ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, puisque c’est entièrement relatif. On peut ensuite les placer devant des exemples d’actions (presque) universellement condamnées, comme la torture d’enfants, pour leur faire réaliser qu’il existe peut-être quand même des normes morales universellement partagées. Très peu d’étudiant·es seront relativistes jusqu’au bout. Beaucoup le sont généralement par une forme de paresse intellectuelle devant la difficulté d’arbitrer des conflits moraux fondamentaux. Quand différents codes moraux s’affrontent, il est en effet plus facile de donner raison à tout le monde que d’identifier qui a tort. D’autres encore peuvent l’être par manque de confiance dans leurs jugements normatifs.

La seconde étape, après avoir fait douter les étudiant·es de leur relativisme, consiste à interpréter les raisons de leurs doutes. Une fois qu’ils/elles ont réalisé l’incohérence entre leur relativisme et leur habitude de discuter, voire d’argumenter sur des questions morales, il est possible d’introduire l’idée d’Habermas selon laquelle nos jugements moraux s’accompagnent le plus souvent d’une prétention implicite à la validité. Cela veut dire que quand nous argumentons, sur les questions morales, nous faisons généralement comme si nos interlocuteur·trices pouvaient finir par accepter nos arguments, par être d’accord avec nous. Bien entendu, nous pouvons nous tromper à ce sujet. Bien souvent, nous ferons face à des désaccords. Mais ce que nous enseignent nos pratiques communicationnelles ordinaires, c’est que la plupart d’entre nous, nous croyons en la possibilité de nous entendre sur une série de questions morales ou éthiques.

→ Voir notre activité Êtes-vous relativiste ?

Par ailleurs, la reconnaissance de l’existence de normes morales universellement partagées comme l’interdit du meurtre et de la torture (hors motifs exceptionnels), mais aussi de normes transculturelles comme l’idéal de fraternité humaine, arment contre le pessimisme moral, à savoir l’idée qu’il est impossible de s’entendre sur ces questions. On peut, sur base de ces normes partagées, essayer de discuter par-delà les cultures. Et si l’on ne s’entendra pas sur tout, on peut du moins essayer de construire des règles éthiques communes.

Troisième étape : il est très important de faire comprendre aux étudiant·es que renoncer au relativisme moral n’implique pas de tomber dans l’extrême inverse qu’est le dogmatisme et l’irrespect de la diversité des convictions. Entre relativisme et dogmatisme ou intégrisme, il y a place pour le rationalisme critique. Cette dernière attitude a deux caractéristiques :

  • Rationalisme : on estime que nos convictions morales s’appuient sur des raisons et qu’il est possible d’argumenter en faveur de ces raisons.
  • Autocritique (ou « faillibilisme ») : on admet qu’on peut avoir tort. C’est ce qui nous pousse à nous mettre à l’écoute des arguments des autres et à parfois douter de nos convictions.

Enfin, il est important de souligner qu’on peut être relativiste sur certaines questions sans devoir l’être sur toutes. En matière de religion, par exemple, il est sans doute vain d’argumenter pour savoir qui a raison, puisqu’on ne le saura vraisemblablement jamais. Une attitude plus constructive consiste alors à dialoguer non pas pour convaincre, mais pour comprendre la conviction d’autrui. Le respect de celle-ci vient alors du fait que nous partageons tous une même ignorance fondamentale de la vérité. Certains appellent cette attitude pluralisme, par opposition au relativisme et à l’universalisme.

En conclusion, l’enseignant·e peut mettre en évidence le fait que le rationalisme critique est la seule attitude permettant des discussions constructives en matière d’éthique ou de morale.

→ Ressources :
- Pierre Blackburn, L’éthique : fondements et problématiques contemporaines, Erpi, 2002.
- Lawrence Hinman, Ethics : A pluralistic approach to moral theory, Harcourt Brace, 1998.

Comment faire face au dogmatisme ?

L’attitude dogmatique ou intégriste6 se caractérise par la certitude qu’a une personne de posséder la vérité. Cette attitude s’accompagne souvent, mais pas nécessairement, d’une intolérance ou d’un irrespect des convictions des autres. Selon son caractère ou ses circonstances de vie, une personne dogmatique peut être plus ou moins pacifique ou belliqueuse.

Il devrait arriver à tout.e professeur.e d’éthique de faire face un jour ou l’autre à des propos ou des attitudes dogmatiques de la part d’étudiant·es. Et cela s’avère beaucoup plus difficile à désarmer que le relativisme moral. En effet, le dogmatisme s’accompagne généralement d’une grande méfiance par rapport aux enseignant·es qui ne partagent pas la même perspective. Les étudiant·es concerné·es vont donc généralement se montrer sur la défensive et ont dès lors très peu de chances de changer d’avis ou de faire des concessions intellectuelles.

C’est pour cela qu’il est sans doute vain de faire front face à une personne dogmatique, de s’opposer brutalement à ses propos ou d’essayer de le/la faire changer d’avis. L’enseignant·e peut par contre viser deux objectifs :

  • Amener des éléments de doute en faisant prendre conscience (à l’ensemble du groupe) de la complexité de certaines questions. Ici, il s’agit d’introduire un peu de relativisme, de faire relativiser les préconceptions des étudiant·es.
  • Mettre en avant la possibilité d’un rationalisme critique (voir plus haut). Il s’agit ici de faire prendre conscience aux personnes dogmatiques que renoncer à leur dogmatisme n’implique pas de renoncer à leurs convictions, ou d’admettre le relativisme. Ils peuvent défendre leurs convictions, mais devraient simplement accepter l’éventualité de se tromper, sans quoi il leur est inutile de discuter, et sans quoi ils courent le risque de s’enfoncer dans l’erreur. À cet égard, il peut être utile d’insister sur le fait qu’il est risqué de ne pas adopter une attitude faillibiliste ou autocritique, car cela augmente le risque d’être manipulé intellectuellement ou de rester toute sa vie dans l’erreur. Rien de plus efficace, de ce point de vue, que le dicton « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis » !

Comment faire face au complotisme ?

Le complotisme (ou « conspirationnisme ») pourrait être défini comme la tendance à croire en l’existence de complots organisés par certaines élites en vue de manipuler et/ou dominer la population. En soi, c’est une conviction relativement plausible au vu des techniques de propagande d’État déployées dans l’histoire. Cependant, cette conviction peut devenir problématique dans certains cas :

  • quand toute actualité est envisagée sous le prisme d’un complot
  • quand les principaux médias sont jugés non fiables en raison d’un complot
  • quand des hypothèses complotistes nourrissent une hostilité forte à l’égard de certains groupes (juifs, francs-maçons, immigrés7, représentants politiques, etc.)

Le cœur d’une théorie complotiste consiste à ramener une série d’événements à une seule causalité, là où l’étude historique met généralement en avant une pluralité de causes non réductibles l’une à l’autre8.

Dès lors, un premier aspect à mettre en avant est l’extrême réduction de complexité des hypothèses complotistes. Face à un événement sujet à de telles hypothèses, l’enseignant·e peut demander aux étudiant·es d’imaginer toutes les hypothèses explicatives possibles et d’essayer de comparer leur plausibilité respective. Concernant les attentats du 11 septembre 2001, par exemple, quelle est l’hypothèse explicative la plus plausible :  

  • l’action préméditée d’un groupe islamiste désireux de s’en prendre à un symbole du de l’Occident ?
  • une action orchestrée par le gouvernement étatsunien dans le but de mener des guerres au Moyen Orient ?
  • une action orchestrée par le gouvernement étatsunien dans le but de renforcer son pouvoir ?

Il est important de ne pas décrédibiliser d’emblée une hypothèse, mais de la prendre au sérieux et d’en évaluer les implications. Si les attentats du 11 septembre avaient été orchestrés par le gouvernement étatsunien, cela signifierait qu’il était prêt à sacrifier la vie de milliers de citoyens, qu’il était prêt à prendre le risque que cela se sache un jour, discréditant à jamais le parti au pouvoir. Si son but était vraiment de mener des guerres au Moyen Orient, n’y avait-il pas de moyens d’action plus simples (prétexter, par exemple, la construction d’armes de destruction massive de la part du régime visé), moins coûteux, moins risqués ?

Une autre caractéristique d’une théorie complotiste est son caractère irréfutable. Toute tentative de la réfuter va être interprétée comme un signe du complot (« on cherche à nous persuader du contraire » ; « on voit bien que c’est une théorie qui dérange » ; « l’enseignant·e/le média fait partie de l’élite conspirationniste » ; « ceux qui n’y croient pas sont manipulés »).

Face à cela, il est important de souligner le danger intellectuel qu’il y a à se fier à une hypothèse qui ne peut pas être contredite. L’enseignant·e peut attirer l’attention sur la nécessité d’appliquer le même esprit critique aux hypothèses auxquelles on croit et à celles auxquelles on ne croit pas (aux médias auxquels on se fie et à ceux auxquels on ne se fie pas), sous peine de s’exposer à la manipulation intellectuelle.

Une autre caractéristique des hypothèses complotistes est d’estimer suffisant qu’un groupe d’individus ait un intérêt à agir dans un certain sens pour en conclure qu’il est probable qu’ils agissent effectivement dans ce sens. Or, certaines personnes agissent de manière désintéressée, beaucoup agissent de manière irrationnelle et, surtout, les intérêts d’une personne ne coïncident pas toujours avec ceux de son groupe. Par exemple, il peut être dans l’intérêt des employeurs/euses pris comme un groupe de faire en sorte qu’il y ait toujours du chômage pour mettre la pression sur les travailleurs/euses. Mais il est aussi dans l’intérêt individuel de chaque employeur/euse d’engager le nombre de travailleurs/euses qui maximise ses profits. Il est donc peu probable qu’au moment de recruter une nouvelle personne, un.e employeur/euse réfléchisse à l’intérêt de sa classe sociale et agisse en fonction de celui-ci. De même, ce n’est pas parce qu’il est dans l’intérêt d’un groupe social de s’organiser pour prendre le pouvoir que ses membres vont avoir envie de prendre le pouvoir à tout prix et réussir à se coordonner suffisamment pour le faire.

Sur cette question, il peut également être bénéfique d’insister sur le caractère généralement hétérogène des intérêts et convictions au sein d’un groupe social donné. Les élites n’ont pas toutes la même vision du monde ni les mêmes intérêts. Et il en va de même des juifs, des franc-maçons, des musulmans, des politiciens, des partis, des médias, des actionnaires d’entreprises, des enseignant·es, etc.

→ Ressources :
- Edgar Szoc, Inspirez, conspirez : Le complotisme au XXIe siècle, Le bord de l’eau, 2017.
- Sophie Mazet, Manuel d’autodéfense intellectuelle, Paris, Robert Laffont, 2017.
- https://theoriesducomplot.be (Site d'éducation aux médias proposant des activités pour décoder et mettre en débat les théories du complot.)

Comment introduire aux auteurs classiques ?

Il n’est pas nécessaire, dans un cours d’éthique, d’introduire de manière systématique à la pensée des auteurs classiques. La visée prioritaire d’un tel cours doit en effet être le développement de la compétence éthique des étudiant·es, c’est-à-dire leur capacité à réfléchir de manière critique et autonome à des questions éthiques et à justifier leurs choix par un raisonnement éthique.

Néanmoins, il est difficile d’introduire à l’éthique sans mentionner les principales écoles historiques – le déontologisme kantien et l’utilitarisme en particulier. C’est sans doute à ce moment-là du cours qu’il est intéressant de faire référence aux plus grandes figures de l’éthique : Platon et Aristote pour l’éthique des vertus, Kant pour l’éthique des devoirs, Bentham et Mill pour l’utilitarisme, voire Habermas pour l’éthique procédurale de la discussion. En-dehors de ces références historiques incontournables, l’appel aux auteurs classiques sert essentiellement à mettre des noms et visages sur certains arguments célèbres. Les autres auteurs discutés peuvent être choisis en fonction des thèmes que l’on souhaite aborder (par exemple : Hans Jonas pour la responsabilité environnementale ; John Rawls pour l’éthique économique ; Peter Singer pour l’éthique animale ; Emmanuel Levinas pour le rapport à l’altérité).

Ce que nous conseillerions d’éviter, au moins dans un cours d’introduction à l’éthique, c’est d’introduire directement à un auteur en donnant un aperçu général de sa philosophie. L’histoire de la pensée éthique doit plutôt servir de réservoir de théories et d’arguments dans lequel puiser afin de résoudre des problèmes éthiques bien définis.

Comment organiser un séminaire de lecture de textes ?

Ce type de séminaire s’adresse le plus souvent à des étudiant·es en éthique ou philosophie, mais pas nécessairement. Un cours d’approfondissement à l’éthique, ou à la théorie politique par exemple, qui ferait suite à un cours d’introduction donné dans les premières années, peut prendre la forme d’un séminaire de lecture. 

La difficulté de ce type de séminaire, c’est de véritablement faire lire les étudiant·es. Il ne suffit en effet pas de rendre la lecture de textes obligatoire, ni d’assigner un texte à chaque étudiant.e pour que cela fonctionne effectivement. Or, la discussion collective d’un texte n’a de sens que si tout le monde l’a lu.

Une première possibilité, pour inciter les étudiant·es à lire, consiste à les interroger oralement, en début de session, sur le contenu du texte : ce qu’ils en retiennent, ce qui les a marqué·es ou étonné·es, ce avec quoi ils ou elles ne sont éventuellement pas d’accord. Si on opte pour cette formule, il n’est peut-être pas opportun de demander à un·e étudiant·e de présenter le texte. Il est sans doute préférable que l’enseignant·e commence par collecter les impressions de lecture et autres réactions des étudiant·es, avant d’organiser une discussion structurée couvrant les différents aspects qui auront émergé.

Une seconde possibilité consiste à assigner un texte à chaque étudiant·e, mais sans obligation pour les autres de lire tous les textes. Pour assurer une bonne préparation du texte par la personne qui le présente ainsi qu’une écoute active de la part des autres, l’enseignant·e annonce qu’il ou elle posera des questions de compréhension du texte au terme de la présentation par l’étudiant·e. La crainte d’être dans l’incapacité de répondre à ces questions de compréhension devrait inciter les étudiant·es à poser des questions à la personne qui présente le texte, à bien s’assurer qu’ils comprennent la présentation. 

L’avantage de la première option est qu’elle habitue les étudiant·es à lire des textes théoriques. L’avantage de la seconde est qu’elle ne les surcharge pas, mais exerce à la fois l’écoute active et l’exposition claire et didactique d’idées théoriques (pour la personne qui présente).

► Les bénéfices de ce genre de séminaire venant de la participation aux discussions, il semble préférable de rendre la participation obligatoire, par exemple en dédiant 20% de la note finale à la participation (présence et participation aux discussions, voire présentation d’un texte).

Comment évaluer un cours d’éthique ?

Argumentation

L’argumentation étant le registre privilégié de l’éthique, l’idéal est d’inviter les étudiant·es à exprimer une prise de position argumentée sur un cas éthique. Dans cette perspective, les deux options principales sont les suivantes :

  • Développer une opinion personnelle et argumentée sur un cas éthique, en lien avec les perspectives théoriques abordées au cours (et éventuellement en utilisant un protocole présenté aux étudiant·es pendant le cours).
  • Appliquer une perspective ou théorie éthique donnée à un cas éthique particulier.

Ces deux options ont des visées différentes. La première évaluera avant tout les compétences argumentatives des étudiant·es, ce qui implique que le cours doit faire une large place aux exercices d’argumentation éthique. Il s’agit de ne pas évaluer une compétence qui n’aurait pas été travaillée pendant le cours – en demandant par exemple une argumentation personnelle alors que le cours était essentiellement théorique et délivré ex cathedra.

La seconde option vise à évaluer la compréhension et l’appropriation personnelle des théories abordées au cours. Elle est sans doute plus adaptée si le cours était plus théorique et si l’enseignant·e n’a pas eu le temps de véritablement travailler l’argumentation.

Voir notre fiche : Comment évaluer un essai (ou travail) en éthique ?

QCM

Les groupes de très grande taille ne permettent pas toujours l’évaluation par des questions ouvertes. On peut alors se rabattre sur des questions fermées visant l’évaluation de la compréhension de la matière, en se concentrant davantage sur les idées à retenir que sur des dates, voire des noms d’auteurs. Ce qui est important, dans cette perspective, est d’éviter ou minimiser la restitution pure de formules pré-définies. Il est préférable d’encourager les étudiant·es à s’approprier la matière et à ré-expliquer des idées essentielles dans leurs mots (sauf, bien entendu, quand la précision conceptuelle est déterminante). Sans quoi on évalue la mémorisation et pas la compréhension. Or, ce qui est mémorisé sans être compris sera rapidement oublié une fois l’examen passé.

Quant aux questionnaires à choix multiples, qui permettent un gain considérable de temps pour les évaluateur·trices, ils doivent être conçus en évitant de jouer sur les mots. Pour qu’ils ne pénalisent pas ceux et celles qui ont des difficultés de lecture, les propositions doivent être suffisamment distinctes les unes des autres.

Enfin, et surtout, il semble que la perte de points en cas de mauvaise réponse soit à proscrire. Cela induirait en effet des raisonnements stratégiques de la part des étudiants, avec pour effet pervers que le questionnaire en vient à évaluer des variables personnelles comme l’estime de soi, la confiance, la gestion du stress, qui ne sont en rien pertinentes. Ce type d’évaluation introduit d’ailleurs un biais de genre, les garçons se montrant souvent plus à l’aise avec ce genre de stratégies de prise de risques. (Source : https://plus.lesoir.be/235876/article/2019-07-11/pourquoi-les-qcm-points-negatifs-luniversite-sont-contre-productifs) La meilleure alternative aux points négatifs, pour minimiser les chances de réussite purement due à la chance, est de ne prévoir qu’une seule bonne réponse parmi au moins 4 propositions (et idéalement un nombre élevé de questions).

QAR

Une alternative aux questionnaires à choix multiple traditionnels, ce sont les questions dites « QAR » (Question-Affirmation-Raison). Celles-ci permettent d’aller au-delà de la simple restitution et de tester des niveaux d’acquisition de compétences plus élevés. Il est toutefois impératif de veiller à minimiser toute ambiguïté dans les formulations. Ce type d’évaluation favorise en effet potentiellement les étudiant·es qui ont la meilleure maîtrise de la langue d’enseignement (mais toutes les formes d’évaluation ont leurs biais, malheureusement). Il est donc impératif de veiller à minimiser toute ambiguïté dans les formulations. Par ailleurs, il convient de souligner la différence entre le fait que les propositions A et R peuvent être vraies ou correctes prises isolément, et le fait que R soit un explication valide de A.

Voici un exemple :

Affirmation (A) : Selon G. A. Cohen, le manque d’argent est une entrave à la liberté négative.


Raison (R) : Si l’on manque d’argent, d’autres peuvent faire usage de la force pour nous empêcher de faire certaines choses.


(Cochez la bonne réponse ci-dessous)


a) A et R sont vraies, et R est l’explication correcte de A

b) A et R sont vraies, mais R n'est pas l'explication correcte de A

c) A est vraie, mais R est fausse

d) A est fausse, mais R est vraie

e) A et R sont fausses

Les étudiant·es étant souvent moins familiers de ce type d’évaluation, il est essentiel de bien les y préparer. Voici un document qui peut leur être distribué pour se préparer à ce type de test :

Le QAR est plus souvent utilisé dans les sciences positives, où la notion de vérité est souvent jugée moins controversée. Il nous semble cependant pertinent dans le domaine de l’éthique également, comme le montrent les exemples fournis dans ce même document ci-dessus. 

Rédiger un essai (ou un travail) en éthique

Une des méthodes privilégiées d’évaluation d’un cours d’éthique est la rédaction d’un essai ou d’une argumentation sur une question éthique. Si l’on souhaite développer la compétence éthique des étudiant·es, il peut être bénéfique de leur laisser choisir leur question, éventuellement parmi une liste préparée par l’enseignant·e. On peut leur demander d’y répondre soit en mobilisant les ressources théoriques qu’ils préfèrent, soit en leur imposant d’examiner la question sous l’angle d’une théorie vue au cours. Dans tous les cas, il est important que la question examinée dans l’essai soit préalablement validée par l’enseignant·e, pour s’assurer qu’il s’agit bien d’une question éthique, et d’une question intéressante.

Exercice préalable : Comment formuler une bonne question éthique ?

Il est également essentiel de guider les étudiant·es, en leur donnant des consignes claires, ainsi qu’idéalement la grille qui servira à l’évaluation. Voici donc un exemple de consignes qui peuvent être données aux étudiant·es.

1. Choisissez une question qui vous interpelle vraiment et dont la réponse n’est pas évidente. Votre argumentation sera probablement meilleure !

Exemple examiné ci-dessous : Faut-il déduire fiscalement les dons que les citoyens font à des associations ?

2. Réfléchissez aux divers enjeux de la question. Quelles valeurs sont en jeu ? Quelles seraient les conséquences si on répondait oui ou non ?

Exemple : Il faut voir les conséquences sur les montants récoltés, mais aussi sur les dispositions morales des citoyens. Qu’est-ce qui les encourage à faire des dons s’ils sont défiscalisés ? Quel est le message qu’on envoie ? Que la générosité doit être récompensée ? Quelles sont les conséquences à long-terme de ce type de pratiques sur la générosité ou le sens de la justice ? Quel est l’impact budgétaire, le manque à gagner pour l’État ? L’idéal ne serait-il pas que les citoyens paient leurs pleins impôts et fassent également des dons s’ils ont le sentiment qu’ils pourraient être taxés davantage ? Qui est mieux placé pour décider dans quelle direction les redistributions de richesses doivent aller : les citoyens ou l’État ? Cela dépend-il du type d’État, du degré de démocratie par exemple ?

3. Rédigez une introduction qui présente la question, la met en contexte et en dégage les principaux enjeux (Qu’est-ce qui la rend intéressante et complexe ?), puis annoncez la structure de votre argumentation.

Exemple : Depuis plusieurs années, les citoyens belges peuvent déduire fiscalement les dons qu’ils font à des associations. Les raisons d’une telle pratique sont X et Y. Cela soulève un certain nombre de questions intéressantes. Q1, Q2, Q3. Dans ce qui suit, je vais tâcher de répondre à la question : « Faut-il déduire fiscalement les dons ? ». Je commencerai par examiner le raisonnement qui a mené vers une telle législation et mettrai en évidence ses effets positifs (section 1). J’aborderai ensuite les conséquences perverses d’une telle pratique sur les dispositions morales des citoyens (section 2). Puis, je me pencherai sur la question du manque à gagner pour l’État (section 3), et enfin celle des meilleurs agents de la redistribution des richesses (section 4), avant de conclure.

4. Commencez par la réponse à votre question qui vous paraît la plus intuitive.

Exemple : On pourrait penser qu’une telle pratique est souhaitable puisqu’elle est probablement de nature à motiver les citoyens à faire davantage de dons.

5. Imaginez des objections, ou des circonstances dans lesquelles on verrait peut-être les choses différemment.

Exemple : Quid si les recettes fiscales diminuent ? Si on encourage à faire des dons pour des mauvaises raisons ? Si on encourage une attitude de minimisation des impôts à payer ?

6. Faites la balance des arguments pour et contre avant de rédiger votre conclusion.

Exemple : Le fait que le nombre total de dons augmente suffit-il à compenser les effets pervers d’une telle pratique ? A long-terme, la générosité des citoyens ne diminuera-t-elle pas si on n’encourage pas les attitudes adéquates ?

7. Prenez position de manière claire et nuancée à la fois. Montrez sur quels arguments repose votre conclusion.

Exemple : Au vu des arguments considérés dans ce travail, il me semble que la pratique de défiscalisation des dons, bien que sans doute louable dans son intention de motiver la générosité, est en réalité une fausse bonne idée. En effet, même si les dons augmentent dans un premier temps, une telle pratique n’encourage pas les citoyens à faire preuve de générosité désintéressée, légitimise une attitude de minimisation des impôts, réduit les recettes de l’État et déplace une partie de la redistribution des richesses du paradigme de la justice distributive organisée par l’État en fonction de décisions collectives vers celui de la charité individuelle spontanée, à rebours des principes fondamentaux de l’État social.

8. Relisez-vous, en veillant aux aspects suivants :

  • Ma question est-elle claire et adéquatement formulée ?
  • Ai-je bien défini les termes ou concepts les plus importants (en particulier s’ils sont susceptibles d’être compris de différentes manières) ?
  • Mon argumentation est-elle claire ? Est-ce que toutes les étapes du raisonnement apparaissent clairement ? (Privilégiez les paragraphes courts, avec des connecteurs logiques indiquant si vous tirez une conclusion (Dès lors), si vous ajoutez un argument distinct (Par ailleurs), si vous introduisez une objection ou une nuance (Toutefois). Résumez en fin de section (En somme, …)
  • Ma conclusion répond-elle clairement à la question (et pas à une autre). Une réponse claire peut tout à fait être nuancée (ex : « oui, à telle condition » ; « oui, dans la plupart des cas » ; « oui dans tel cas précis, sauf si… »).
  • Ai-je fait des liens avec ce qui a été vu au cours (concepts, théories, auteur.e.s) lorsque c’était possible ?
Consultez aussi : Comment évaluer un essai (ou travail) en éthique ?

Évaluer un essai (ou un travail) en éthique

Évaluer un essai ou un travail en éthique, comme dans d’autres disciplines d’ailleurs, est un exercice périlleux, entraînant un certain nombre de risques :

  • Ne pas être cohérent d’une évaluation à l’autre
  • Être influencé par les thèses défendues plutôt que la manière dont elles le sont
  • Évaluer des aspects non pertinents ou non travaillés pendant le cours

Pour cette raison, il est sans doute préférable d’utiliser une grille d’évaluation (et d’examiner celle-ci avec les étudiant·es avant qu’ils s’attèlent à la rédaction). Bien entendu, les critères d’évaluation dépendent en partie des visées spécifiques de chaque cours. Il n’existe donc pas de modèle universel de grille d’évaluation. Nous vous proposons simplement ici un exemple, que vous pouvez vous réapproprier en fonction des visées de votre cours. La pondération, de même, n’est donnée qu’à titre indicatif. Il vous est loisible de mettre davantage l’accent sur certains aspects par rapport à d’autres.

Exemple de grille d’évaluation ( /20) : 

  1. L’essai examine-t-il une question éthique posée de façon claire ? ( /1)
  2. Est-ce une question intéressante ? (vs réponse évidente) ( /2)
  3. L’essai est-il bien structuré ? ( /2)
  4. Est-il clairement rédigé ? ( /2)
  5. Les concepts clés sont-ils bien définis ? ( /2)
  6. La conclusion tente-t-elle de répondre à la question de départ ? ( /2)
  7. L’étudiant·e a-t-il ou elle fait des liens avec la matière vue au cours ? ( /2)
  8. Les affirmations controversées sont-elles étayées par des références ? ( /1)
  9. Qualité de l’argumentation* ( /6)

* Les prémisses sont-elles explicites ? Les conclusions découlent-elles de prémisses ? Les arguments sont-ils convaincants ? Originaux ? Tiennent-ils compte des objections possibles ?

Enseigner (l’éthique) en ligne

Ci-dessous, vous trouverez quelques ressources qui pourront vous aider à construire une activité pédagogique (en éthique ou autre) en ligne, en période de confinement ou en temps normal.

Pour ce qui concerne les cours d’éthique, nous conseillons fortement d’éviter les cours magistraux enregistrés ou diffusés en direct. Il semble préférable, pour les étudiant·es, de concentrer les séances en ligne sur la discussion de cas éthiques concrets. En effet, leur taux d’attention est encore plus réduit en ligne qu’en présentiel. Une méthode d’enseignement possible consiste alors à envoyer avant le cours, aux étudiant·es, un texte ou une vidéo avec la « théorie », puis de consacrer la séance interactive à deux choses :

  • L’explication et la discussion de points théoriques qui auraient été moins bien compris par les étudiant·es (éventuellement après un quizz sur Socrative ou Wooclap).
  • L’application de la théorie à des questions concrètes (éventuellement après un bref rappel des points théoriques essentiels).

Pour les interactions avec les étudiant·es, l’idéal est d’utiliser le chat sur les applications Zoom ou Microsoft Teams, à combiner éventuellement avec Socrative ou Wooclap.

Quelques ressources pour enseigner en ligne :

  • Passage en revue des différentes approches possibles par William Fischer, professeur de droit à Harvard spécialisé dans l’enseignement en ligne : sur son site (en).
  • Questions-réponses avec Josh DiPaolo, professeur de philosophie également expérimenté dans l’enseignement à distance : sur le site Crooked Timber (en).

Et sur notre site :

Construire un cours d’éthique

Vous devez créer un nouveau cours d’éthique générale ou appliquée à un domaine particulier ? Voici quelques propositions pour construire un cours en dix séances en mobilisant les outils de ce site pour développer la compétence éthique des étudiant·es.

Vous pouvez y piocher ce qui vous intéresse, inverser des séances, en supprimer, ajouter des séances plus spécifiques à votre discipline, etc. Le but de cette proposition est juste de nourrir votre réflexion dans la préparation de votre cours.

Séance 1 : À quoi sert l’éthique ?

Un point de départ stimulant la réflexion est la fable de l’anneau de Gygès, qui nous demande d’imaginer comme nous agirions si nous étions invisibles. Cela permet de distinguer l’agir moral de la simple crainte de la sanction ou de la réprobation.

Une autre possibilité est de partir de cas éthiques concrets dans le domaine de prédilection des étudiant.es, de leur montrer que les réponses ne sont pas évidentes et qu’ils et elles ont besoin d’être outillé.es pour analyser de tels cas.

Par ailleurs, l’activité « La vertu est-elle une disposition stable ? » permet de questionner d’emblée le préjugé selon lequel il y a simplement des personnes vertueuses et d’autres qui le sont moins.

En fin de séance, présenter les objectifs du cours, le plan et les modalités d’évaluation.

Séance 2 : Au-delà du relativisme

Il peut être utile de commencer par la distinction essentielle entre jugements de fait et jugements de valeur, tout en la problématisant et en mentionnant des zones grises entre les deux.

Ensuite, la difficulté principale à laquelle font face les enseignant·es en éthique est le relativisme d’un nombre important d’étudiant·es. Ces conseils et cette activité peuvent les amener à questionner leur relativisme et dès lors voir l’intérêt d’une réflexion éthique sur les normes les plus justes (si toutes ne se valent pas).

Enfin, on peut éventuellement introduire une distinction entre les questions susceptibles d’entente et les questions plus relatives sur base de la distinction entre morale et éthique ou entre le juste et le bien.

Séance 3 : Déontologisme et conséquentialisme

Historiquement, les deux approches dominantes de l’éthique sont (outre l’éthique des vertus) le déontologisme kantien et le conséquentialisme utilitariste. Après avoir présenté ces deux approches et les avoir appliquées à des cas concrets, il peut être bon de questionner cette opposition. Peut-on vraiment faire fi des conséquences et n’y a-t-il que les conséquences qui comptent ? Ces présupposés sont mis à mal par l’expérience du train.

Séance 4 : L’éthique de la discussion

Une approche plus récente de l’éthique qui a eu une influence importante est l’éthique de la discussion de Apel et Habermas. Elle permet de réfléchir au fondement de la morale (la possibilité de l’entente rationnelle) en revenant sur la question du relativisme. Et elle permet également d’aller au-delà de l’opposition un peu stérile entre déontologisme et conséquentialisme.

Séance 5 : Le contractualisme moral

Une limite de l’éthique de la discussion est qu’il est généralement impossible d’organiser une discussion avec toutes les personnes affectées par une norme. Il est donc nécessaire de réfléchir à la manière dont nous pouvons individuellement choisir des normes d’action, que nous pouvons tenir pour provisoirement valides, au moins jusqu’au jour où nous serons confronté.es à une objection valide de la part de quelqu’un d’autre. C’est ce que permet le contractualisme moral de Thomas Scanlon, qui peut être présenté comme un complément à l’éthique de la discussion.

Et voici éventuellement une activité qui peut permettre de contraster l’approche de Scanlon avec d’autres manières d’établir un point de vue moral, en les appliquant à un cas concret.

Séance 6 : Formuler une question éthique

Si l’objectif final du cours est de rendre les étudiant·es capables d’analyser des cas éthiques concrets, une étape importante est de parvenir à identifier les enjeux éthiques d’un cas et donc formuler une question éthique sur base d’une situation concrète. Voici une activité permettant de s’y exercer.

Ensuite, vous pouvez demander aux étudiant·es de formuler des questions éthiques liées à leur formation générale ou à leurs futurs métiers qu’ils et elles voudraient analyser lors des séances suivantes.

Séance 7 : Analyser collectivement un cas éthique 1

Il existe plusieurs méthodes d’analyse de cas éthiques. L’une d’elle, dont la capacité à développer la compétence éthique des étudiant·es a été testée empiriquement, permet l’analyse collective d’un cas sur l’espace d’une séance. Elle est détaillée ici. Et si vous avez le temps, il peut valoir la peine de l’essayer une première fois pour se familiariser avec puis de l’appliquer à un nouveau cas lors de la séance suivante.

Séance 8 : Analyser collectivement un cas éthique 2

Si vous préférez varier les séances, une autre manière de travailler collectivement sur des cas éthiques est l’approche des comités d’éthique. Elle permet de travailler en petits groupes, puis de mettre en commun le résultat des différentes délibérations. Cela permet soit de comparer les analyses de différents groupes sur une même question, soit de traiter plusieurs questions différentes lors d’une même séance.

Séance 9 : Analyser individuellement un cas éthique

En vue de la production finale, si c’est une analyse de cas, il est important d’outiller les étudiant·es en leur expliquant concrètement comment analyser seul.e un cas éthique.

Une première activité utile permet de faire le point sur ce qu’est un argument moral.

Ensuite, on peut leur présenter un protocole d’analyse individuelle de cas éthiques.

Séance 10 : Préparer l’évaluation finale

En dernière séance, il peut être appréciable de revenir sur les éléments essentiels du cours, tant théoriques que méthodologiques.

Ensuite, quelques consignes pour préparer les étudiant·es à l’évaluation finale. S’il s’agit d’un travail écrit, voici des consignes utiles.

  1. À cet égard, les travaux de Richard Easterlin sont particulièrement intéressants. Voir Easterlin, R. A. (1974). « Does economic growth improve the human lot? Some empirical evidence », dans Nations and households in economic growth (pp. 89-125) et Easterlin, R. A., McVey, L. A., Switek, M., Sawangfa, O., & Zweig, J. S. (2010). « The happiness–income paradox revisited », Proceedings of the National Academy of Sciences107(52), 22463-22468. ↩︎
  2. Voir à ce sujet les travaux de John Rawls et Amartya Sen notamment. ↩︎
  3. Voir à ce sujet des auteurs comme Robert Nozick et Friedrich von Hayek. ↩︎
  4. Voir Philippe Van Parijs, Real Freedom for All: What (if Anything) Can Justify Capitalism?, Oxford University Press, 1995. ↩︎
  5. Sur la distinction entre morales « maximalistes » et « minimalistes », voir Ruwen Ogien, L’éthique aujourd’hui : maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, 2007. Voir aussi notre fiche Neutralité et perfectionnisme, ainsi que le site Éthique minimale. ↩︎
  6. Le dogmatisme ne se manifeste pas seulement sur le plan religieux. Il est également fréquent en politique. ↩︎
  7. En France, par exemple, 48% des répondant.e.s à une enquête affirmaient croire à un complot orchestré par les élites et visant à remplacer les populations d’origine par le biais de l’immigration. Voir R. Reichstadt, « Le conspirationnisme dans l’opinion publique française »Fondation Jean Jaurès, 7 janvier 2018. ↩︎
  8. Voir le bref article éclairant de Nicolas Lebourg, « La Théorie du Complot et le sens de l’histoire »Fragments sur le temps présent, 28 décembre 2008. ↩︎