Nous proposons ici une série d’idées d’activités qui ne sont pas nécessairement spécifiques à l’enseignement de l’éthique et qui peuvent porter sur n’importe quel type de contenu. Nous commençons par expliquer l’activité avant d’éventuellement préciser en quoi cette approche est pertinente dans le cadre d’un cours d’éthique.
Contenu
Discussion à visée démocratique et philosophique (DVDP)
La discussion à visée démocratique et philosophique est une méthode d’organisation de discussions philosophiques développée notamment par Michel Tozzi. Elle consiste à confier des rôles à plusieurs participant·es afin d’encadrer l’évolution libre de la discussion collective à partir d’une question, d’un texte ou autre support artistique. Il s’agit d’offrir aux étudiant·es un espace de discussion autonome, non orientée par l’enseignant·e. Cette méthode est donc appropriée quand l’enseignant·e veut que les étudiant·es s’exercent à la réflexion et à la discussion collective, mais pas quand il ou elle souhaite introduire à certains contenus.
Cette méthode de discussion convient à nos yeux à des groupes peu nombreux, entre 10 et 20 personnes, et davantage à l’enseignement primaire et secondaire que supérieur. Cela n’empêche pas qu’on puisse en faire usage dans le supérieur également, dans des contextes favorables (peu d’étudiant·es et du temps pour une discussion libre).
Dans le document téléchargeable ci-dessous, vous trouverez un aperçu des différents rôles à assigner aux étudiant·es, adapté à partir de Gaëlle Jeanmart, « Diversifier les méthodes d’animation en philosophie : utiliser la DVDP de Michel Tozzi », Entre-vues.
D’autres approches pour philosopher avec des jeunes sont résumées dans cet article.
Discussion de dilemmes éthiques (KMDD)
La KMDD® (Konstanzer Methode der Dilemma-Diskussion) est une méthode de discussion de dilemmes développée par Georg Lind, de l’Université de Konstanz. Elle vise à développer ce qu’il appelle à la suite du psychologue moral Lawrence Kohlberg la « compétence morale ». Cette dernière se définit comme la « capacité à résoudre des problèmes et conflits sur base de principes moraux internes, à travers la délibération et la discussion plutôt que la violence ou la tromperie »1. Il ne s’agit donc pas d’éduquer les apprenant·es à se conformer à des règles ou principes moraux « externes », mais à juger et agir en fonction de raisons « internes », après examen des arguments opposés.
Nous avons sélectionné cette méthode pour sa rigueur scientifique. Ses effets ont en effet été testés et semblent réels. Le fait de pratiquer une ou deux fois sur une année cette méthode de discussion avec un groupe semble effectivement promouvoir la compétence morale2.
Les 9 étapes d’une discussion de dilemmes de type KMDD3 (90’)
Min. | Tâche(s) à réaliser | Conseils |
0 | Présenter oralement le dilemme de X. | |
5 | Distribuer le dilemme sur support écrit, avec des questions. Demander aux participant·es de réfléchir calmement par eux/elles-mêmes. Annoncer qu’une discussion suivra. | Laisser le temps de prendre des notes. Garantir un certain silence pour la réflexion personnelle. |
10 | Clarifier avec l’ensemble du groupe la nature du dilemme (si c’en est un). Qu’est-ce qui en fait un dilemme aux yeux de certains4 ? | S’assurer que toutes les perspectives et aspects du dilemme soient mentionnés. |
20 | Premier vote (à main levée) : « X a-t-il/elle bien ou mal agi ? » Résultats au tableau. (Si tout le monde vote pour la même réponse, essayez de modifier des paramètres du dilemme afin de le rendre la décision plus controversée.) | Essayer que tout le monde vote, quitte à changer d’avis. Inviter les participant·es à changer d’avis en fonction des arguments entendus. Insister sur le caractère provisoire de ce premier vote. |
25 | Diviser le groupe en deux, selon le vote. Former des sous-groupes de 3 à 4 personnes et leur demander de rassembler des arguments en faveur de leur jugement exprimé par le vote. | S’assurer que les groupes ne soient pas moins nombreux que 3 et plus nombreux que 4. |
35 | Discussion du pour et du contre avec l’ensemble du groupe. Expliquer deux règles de base : #1 Tout peut être dit, mais personne ne doit être jugé (positivement ou négativement). #2 Règle du ping-pong : la personne qui a parlé en dernier choisit un répondant demandant la parole dans le camp adverse. L’enseignant·e n’intervient que si une de ces deux règles n’est pas respectée. | Désigner un·e assistant·e chargé·e de prendre note de la discussion au tableau ou sur un document projeté à l’écran. Intervenir amicalement dès le premier cas de non-respect d’une règle. |
65 | Choix du meilleur contre-argument entendu : laisser se former à nouveau des groupes de 3 à 4 personnes pour évaluer les arguments adverses et sélectionner le meilleur. | Inviter les gens à se regrouper selon leur opinion. Préciser qu’ils peuvent à ce stade avoir changé d’avis et rejoindre un groupe différent. Encourager les votes individuels, pour que chacun se pose la question. |
70 | Laisser les participant·es exprimer devant tout le monde le meilleur contre-argument retenu. | Laisser chacun s’exprimer si groupe pas trop nombreux. Sinon, un·e représentant·e par groupe. |
75 | Vote final : « Suite à cette discussion, estimez-vous que X a bien ou mal agi ? » Résultats au tableau | Mettre en évidence le nombre de changements d’avis. Discuter notre difficulté de changer d’avis en public. |
80 | Qu’avez-vous appris de cette session ? La discussion peut porter à la fois sur les enjeux éthiques du dilemme et sur la méthode de discussion. | S’assurer de laisser au moins 10 minutes pour cette rétrospection finale. |
90 | Fin de la session |
Télécharger ce tableau (l’ensemble de l’activité peut être téléchargée plus bas)
Comme toute méthode, la KMDD peut bien entendu être adaptée selon le contexte et l’appréciation de l’enseignant·e5. La description qui précède (les conseils, en particulier) a d’ailleurs été adaptée sur base de nos propres expérimentations de cette méthode. Cependant, nous avons cherché à rester très fidèles au séquençage imaginé par Georg Lind puisque c’est cette méthode précise dont l’impact sur les participant·es a été évalué positivement. Lind insiste notamment sur l’importance de consacrer au minimum 90 minutes à la session. Pour garder l’attention et l’énergie, il est préférable de ne pas faire de pause, quitte à finir le cours plus tôt. La variation des tâches a été pensée pour maintenir la motivation des participant·es.
Les dilemmes
Toutes sortes de dilemmes peuvent servir de base à une telle discussion. Nous renvoyons à notre banque de cas éthiques pour une série de cas pouvant être présentés sous forme de dilemmes d’action (X hésite à faire Y ou Z).
Voici quelques conseils donnés par G. Lind pour créer votre propre dilemme :
- Sa description doit être courte, mais les enjeux doivent apparaître clairement.
- Le langage utilisé doit être simple.
- Tout doit être centré sur une personne (X), qui hésite entre deux options mais doit absolument prendre une décision.
- Donnez un nom fictif à cette personne X pour donner un aspect réaliste au dilemme.
- X doit à la fin prendre une décision claire, afin que les participant·es puissent se prononcer pour ou contre cette décision.
- Pour l’intérêt de la discussion, cette décision doit autant que possible être controversée (par exemple en étant contraire à la loi ou au sens commun).
Exemples de dilemmes proposés par G. Lind6
Susan fait du shopping
Susan fait du shopping avec sa meilleure amie. Dans un magasin, elles essayent différentes robes. Susan voit son amie rentrer dans une cabine d’essayage avec une robe, puis en sortir sans la robe, lui faire un sourire et lui montrer qu’elle a caché la robe sous sa veste. Susan voit son amie quitter le magasin, et lorsqu’elle veut sortir à son tour, elle se fait arrêter par un agent de sécurité. Celui-ci lui dit que son amie a été vue en train de voler un vêtement et qu’il veut savoir son nom. Susan hésite. L’agent la menace : « Vous devez nous donner son nom, sans quoi vous vous rendez complice d’un acte criminel ». Un peu secouée, Susan hésite, puis décide de ne pas donner le nom de son amie.
Tom et son meilleur ami
Tom ne sait pas ce qu’il doit faire. Il avait dit à son meilleur ami de ne pas prendre la voiture pour rentrer de la soirée d’hier, sachant qu’il avait trop bu. Mais son ami ne l’a pas écouté. Quand ils sont rentrés tous les deux en voiture, après la soirée, ils ont percuté une autre voiture, ont pu continuer leur route, mais ont vu dans le rétroviseur que l’autre voiture était renversée. Tom a alors insisté pour que son ami s’arrête, mais ce dernier a refusé.
Le lendemain matin, Tom apprend que le conducteur de l’autre véhicule est entre la vie et la mort. La police est à la recherche de témoins. Tom appelle alors son ami pour lui conseiller de se rendre à la police. Son ami refuse et lui fait promettre de ne rien dire à personne. Il dit qu’il perdrait son emploi de conducteur de camion grâce auquel il peut aider financièrement ses parents malades et ses jeunes sœurs. Tom ne sait pas quoi faire. Il s’arrache les cheveux. Finalement, il décide de ne rien dire à personne.
Le job de rêve de Christine
Le rêve de Christine est sur le point de se réaliser. Quand elle était jeune, déjà, elle rêvait d’aller travailler à l’étranger. Dans quelques mois, elle aura son diplôme d’interprète. Son compagnon a reçu une belle offre d’emploi à l’étranger. Elle a également une opportunité professionnelle qui se présente. Ils pourraient donc partir tous les deux.
Mais voilà qu’elle tombe enceinte. Elle a toujours voulu avoir des enfants, mais plus tard. Elle voudrait d’abord terminer ses études et commencer une carrière professionnelle. Si elle devient mère, elle ne pourra pas postuler à l’emploi qu’elle convoite, ni partir à l’étranger, pour raisons médicales. Or, son compagnon, lui, peut difficilement refuser l’offre qui lui est faite. Il souhaite donc qu’elle l’accompagne.
Les parents de Christine sont religieux et s’opposent fermement à l’avortement. Elle doit prendre une décision rapidement pour rester dans les délais légaux d’avortement. Elle n’en dort plus. Finalement, elle décide d’avorter.
Lara, 16 ans
Lara a 16 ans et vit dans un pays pauvre. Elle n’a pas pu faire d’études supérieures et ne trouve pas d’emploi. Le taux d’emploi chez les jeunes est très élevé. Même ses parents sont sans emploi. Quant à ses frères et sœurs, ils font des petits boulots plutôt que d’aller à l’école.
Un jour, elle rencontre une médecin, qui lui explique qu’elle travaille pour une grande entreprise pharmaceutique. Cette entreprise a besoin de cellules-souches d’embryons en vue de produire un médicament qui permettrait de sauver des vies. En participant à cette recherche, Lara pourrait gagner beaucoup d’argent – suffisamment pour nourrir toute sa famille et se payer des études d’enseignante. Pour cela, elle devrait accepter d’être inséminée artificiellement une fois par an pendant cinq ans et faire don de l’embryon à l’entreprise. Tentée mais hésitante, elle demande deux jours de réflexion. En fin de compte, elle accepte et signe le contrat.
La juge Steinberg
Mary Steinberg est une juge très importante. Alors qu’elle s’apprête à partir en week-end, la directrice des services secrets l’a appelée pour lui dire que ses services avaient eu vent d’un attentat en préparation. L’organisation terroriste, très brutale, cherche à faire un maximum de victimes. Les services secrets ont réussi à attraper un de ses leaders, un jeune homme, mais celui-ci refuse de donner des informations qui permettraient de faire avorter l’attentat.
L’attentat pourrait survenir à tout moment. Il faut agir vite. La directrice des services secrets demande alors à la juge Steinberg une autorisation d’utiliser la torture pour tenter de prévenir l’attentat. La juge demande une heure de réflexion. Au terme de celle-ci, elle rappelle et autorise l’usage exceptionnel de la torture.
La première étude de John
John est un jeune économiste travaillant pour le gouvernement d’un pays de l’UE. Il s’est récemment marié et a un jeune enfant. Il est heureux de ce qui est son premier emploi.
Hier, son supérieur lui a confié l’évaluation d’un important projet visant à aider des personnes désavantagées dans son pays. Malheureusement, la tâche est pénible et John manque de temps pour réunir suffisamment de données avant la deadline, qui est dans deux jours. Il se trouve donc dans l’incapacité d’évaluer correctement le projet.
Il en parle alors à son supérieur, qui lui dit : « Ne t’inquiète pas. Essaye de récolter un maximum de données, et si nécessaire tu complètes avec des fausses données. Si on ne rend pas le rapport à temps, les fons iront à un autre pays. C’est donc très important pour nous – et d’ailleurs pour toi aussi si tu souhaites garder ton boulot. »
John n’a pas dormi de la nuit. Ce matin, il s’est résigné à inventer quelques données pour compléter et terminer l’évaluation.
Exemples de dilemmes conçus par nous expérimentés dans nos cours
Justice et bienveillance
Justin Benevolente est professeur de français dans l’enseignement secondaire. Il corrige ses examens de fin d’année, déterminants pour la réussite des élèves et leur passage au degré supérieur. Parmi les copies qu’il essaye d’évaluer de manière anonyme, il reconnaît avec quasi-certitude l’écriture d’un de ses élèves, auquel il s’est attaché et dont le cas le préoccupe beaucoup. C’est un élève de relativement bonne volonté, qui a fait des progrès, mais dont le niveau en français reste très faible. Justin sait par ailleurs que cet élève est issu d’un milieu très défavorisé. Rater cet examen pourrait lui faire rater son année pour la seconde fois. Or, son examen n’est pas bon. Il vaut tout au plus 8/20. Justin hésite beaucoup. Il décide finalement de lui accorder un 10/20, qui lui permet de réussir son examen.
- Justin agit-il de manière juste ?
- Agit-il de manière bienveillante ?
- La bienveillance est-elle plus importante que la justice ?
- Si oui, dans quels cas ?
- Le fait que l’élève ait fait des progrès justifie-t-il de le sauver ?
- Le fait qu’il soit issu d’un milieu défavorisé ?
- Le fait qu’il soit sympathique ?
- Le fait qu’il ait déjà doublé ?
Compatriotes et étrangers
Yannick, 20 ans, fait de la barque dans un grand lac au milieu de la nature. Il fait très froid. Alors qu’il croit être seul, il entend des appels à l’aide et aperçoit deux personnes en train de se noyer, leur barque ayant sans doute coulé. Sa barque à lui étant toute petite, il sait qu’il ne peut en sauver qu’une des deux, sans quoi il coulera lui aussi. Les deux personnes comprennent la situation : seule une personne pourra être sauvée ; l’autre mourra très probablement d’hypothermie. Yannick est paniqué. Il ne sait pas comment choisir, mais doit se dépêcher de prendre une décision.
Ayant entendu qu’une des deux personnes avait un accent assez prononcé, il demande aux deux personnes leur nationalité. L’une est une compatriote, l’autre pas. Il décide de sauver la compatriote.
- A-t-il bien agi ?
- La nationalité était-elle un critère de sélection pertinent ?
- Auriez-vous agi différemment ?
- Qu’est-ce que ça changerait si vous connaissiez personnellement une des deux personnes ?
- Quel(s) autre(s) critère(s) pourrai(en)t vous aider à choisir qui sauver ?
- Pensez-vous qu’il soit moral de donner priorité à un·e proche ?
- Pensez-vous qu’il soit moral de donner priorité à un·e compatriote ?
- Peut-on comparer les proches et les compatriotes que nous ne connaissons pas ?
Comités d’éthique
► Travail en sous-groupes (3 à 6 personnes) puis mise en commun.
► Application d’une théorie vue au cours à une diversité de cas éthiques (voir la banque de cas éthiques), ou du cadre du cours à des questions éthiques liées à la formation/pratique des étudiant·es.
Instructions :
- Désigner dans chaque groupe un·e modérateur·trice et un·e avocat·e du diable. Le premier rôle consiste à s’assurer que tout le monde a l’occasion de s’exprimer, que personne ne monopolise la parole, que la discussion reste constructive. Le second consiste à s’assurer que le groupe pense bien à toutes les objections possibles et n’arrive pas trop facilement à un consensus.
- Identifier les devoirs, principes ou valeurs en conflit, ainsi que les conséquences de chaque option. [Voir sur ce point notre protocole d’analyse d’un cas éthique.]
- Viser une réponse consensuelle, non pas en imposant le consensus à ceux qui ont un avis différent, mais en essayant de répondre à leurs objections.
- Si on n’obtient pas le consensus, voter et écrire l’opinion majoritaire ainsi que l’opinion minoritaire.
- Présenter au reste du groupe le cas, ses enjeux, et la décision du groupe.
Durée type :
- 20-30 min si l’on veut ensuite entendre chaque groupe présenter le fruit de sa délibération (dans l’hypothèse où il n’y a pas plus de 8 groupes).
- 1h si l’on attend un rapport de délibération écrit et argumenté (ces rapports pouvant être présentés aux autres sur l’espace de plusieurs séances).
- L’exercice peut même se faire sur deux séances s’il est nécessaire pour les groupes de mener une brève recherche empirique entre deux séances pour nourrir la prise de position éthique.
Deuxième phase : les rapporteur·euses présentent le fruit des délibérations en sous-groupes devant tout le monde (idéalement, 5 min. de présentation et 5-10 min. de discussion). Pour maintenir l’attention de celles et ceux qui écoutent, l’enseignant·e peut, suite à la présentation, leur poser des questions pour vérifier qu’ils ont bien compris la justification de la position (majoritaire) prise par le sous-groupe, ou leur demander de réagir.
Analyse individuelle d’un cas éthique
Si vous souhaitez faire travailler vos étudiant·es de manière individuelle, par exemple pour préparer l’évaluation finale du cours, vous pouvez leur demander une analyse brève, écrite, d’un cas éthique. Pour ce faire, trois outils vous seront potentiellement utiles sur ce site :
- Notre banque de cas éthiques, pour vous inspirer, ou pour leur offrir une grande diversité de choix. Il peut être bénéfique de leur permettre de s’exercer sur les cas éthiques qui les intéressent le plus, même sans lien direct avec le cours (quitte à demander l’analyse d’une question spécifique au cours lors de l’évaluation finale).
- Notre protocole d’analyse d’un cas éthique, afin de structurer leur réflection.
- Nos conseils pour l’évaluation d’un essai ou travail en éthique.
Avant cette activité, il peut être intéressant de proposer deux autres modules :
Lobbyistes
Ici, il s’agit de faire s’affronter deux points de vue plutôt que de chercher le consensus. Cela peut être utile par exemple pour confronter deux théories éthiques, comme le libertarisme et l’égalitarisme, par exemple. Le mieux, pour obliger les étudiant·es à comprendre les perspectives qui ne sont pas nécessairement les leurs, est de leur imposer la perspective à défendre (libertarienne, par exemple) ainsi que le cas d’application (la justice scolaire, par exemple). Ensuite, ils et elles se préparent en petits groupes. L’idée est d’identifier les meilleurs arguments en faveur de la position à défendre, et d’anticiper les objections et arguments adverses afin de se préparer le mieux possible à l’affrontement.
Dans un deuxième temps, des volontaires de chaque groupe (un ou plusieurs par groupe) s’affrontent devant tout le monde. L’ensemble des étudiant·es doit alors voter pour le groupe qui a produit la meilleure argumentation (pas les personnes les plus convaincantes ou l’idée qu’on croit juste). L’objectif est le débat argumenté plutôt que l’affrontement rhétorique où l’on chercherait juste le soutien du public. En d’autres termes, les meilleurs arguments éthiques ne sont pas nécessairement ceux qui ont le plus fait réagir, ému ou amusé7. Ce sont ceux qui sont les plus difficiles à réfuter par des raisons. (L’explication de cette consigne peut être le prétexte pour une discussion sur la différence entre argumentation et rhétorique.)
Évaluation par les pairs
Voici une méthode d’évaluation intermédiaire (ou « formative ») particulièrement utile quand un·e enseignant·e. fait face à un très grand groupe d’étudiant·es. Elle permet aux étudiant·es de faire des exercices et de recevoir une évaluation sans surcharger de travail l’enseignant·e.
- Chaque étudiant·e réalise un petit exercice en ligne.
- L’enseignant·e explique le type de réponse qu’il ou elle attendait et dévoile ses critères d’évaluation.
- Chaque étudiant·e relit et évalue le travail de trois autres. À partir de trois relectures, il y a de fortes chances de convergence de la note moyenne (qui peut n’être que formative) avec celle qu’aurait donnée l’enseignant·e.
Dans le cadre d’un cours d’éthique, cette méthode permet d’apprendre à évaluer la qualité d’une argumentation éthique indépendamment de son propre point de vue sur la question, ce qui est essentiel au développement de la « compétence morale »8.
NB : La plateforme Moodle inclut un outil permettant l’évaluation par les pairs en ligne : https://docs.moodle.org/2x/fr/Atelier
Classe inversée
Des groupes sont chargés à l’avance de lire un texte, de résoudre un problème, ou de se renseigner sur un·e auteur·e. Ils présentent ensuite ce qu’ils ont compris/retenu/trouvé au reste du groupe. Cela peut être une activité qui lance un cours ou qui introduit un nouveau chapitre. Il n’est pas forcément nécessaire de faire classe inversée pour l’ensemble d’une séance de cours.
Il est essentiel pour que cette activité ait du sens que l’enseignant·e vérifie que les étudiant·es comprennent les présentations de leurs pairs (voir la section Techniques d’animation pour des techniques utiles à cette fin). Ils et elles doivent par ailleurs veiller à compléter ou corriger les informations données quand cela semble nécessaire.
Dans le cadre d’un cours d’éthique, cette méthode pourrait permettre d’introduire une nouvelle théorie ou un nouvel auteur (l’enseignant·e complétant sur base de la présentation des étudiant·es), ou encore de faire des exercices d’application d’une théorie à un cas devant tout le monde.
Suggestion
Un support idéal pour des classes inversées en éthique, ce sont les vidéos didactiques élaborées par notre collaborateur Maxime Lambrecht, qui est vulgarisateur scientifique sur Youtube (chaîne Philoxime).
Arpentage
Le principe général est le même que la classe inversée, mais tout se fait en classe/auditoire/amphithéâtre. L’enseignant·e prépare un ensemble de documents relativement brefs sur un sujet et distribue un document différent (mais une copie par étudiant·e) à chaque groupe. Les groupes sont chargés de lire puis de faire une synthèse qu’ils présentent ensuite à l’ensemble.
Ceci permet d’approfondir un sujet en deux heures de cours, en collectant une documentation variée, mais en réduisant la charge de lecture de chaque étudiant.e. Pour la bonne réussite de cette activité, il est important de s’assurer que ceux qui écoutent comprennent les synthèses qui leur sont proposées. Pour ce faire, il est non seulement utile de faire suivre chaque présentation d’un moment de questions de compréhension, mais également de tester l’attention et la compréhension au moyen d’une de techniques d’animation.
Dans le cadre d’un cours d’éthique, cette activité pourrait permettre de faire l’expérience concrète de la distinction entre les jugements de fait et les jugements de valeur. Grâce à l’arpentage, on ferait le point sur l’état de la recherche empirique sur une question. Ensuite, on passerait à la discussion proprement normative, sur base d’un bagage empirique commun. Or, bien souvent, des débats éthiques peuvent patauger faute d’informations empiriques suffisantes.
Écoute et reformulation
La discussion est essentielle à la résolution éthique des conflits, et ce qui est essentiel à la discussion, c’est l’écoute et la compréhension mutuelle. Si l’on souhaite accorder une place importante à la discussion dans un cours ou une formation à dimension éthique, il peut être utile d’exercer d’abord l’écoute et la reformulation.
Voici un exemple d’activité permettant d’exercer ces compétences :
- L’enseignant·e choisit un sujet clivant (à dimension éthique de préférence), tel que la fiscalité, l’immigration, le port du voile, l’avortement, le végétarisme, ou encore le polyamour.
- Il ou elle demande aux étudiant·es de se positionner pour ou contre et compose, sur cette base, des binômes (ou petits groupes) regroupant chaque fois, dans la mesure du possible, (au moins) une personne « pour » et une « contre ».
- Dans les binômes (5-10 minutes) :
- Le participant « pour » (A) s’exprime et explique son opinion
- Le participant « contre » (B) reformule ce que A a dit, c’est-à-dire redit avec ses mots l’essentiel du message de A. Il n’y a pas de réaction autorisée.
- A confirme ou corrige la reformulation en clarifiant.
- Le participant B s’exprime et explique son opinion
- Le participant A reformule ce que B a dit.
- B confirme ou corrige la reformulation en clarifiant.
- Si on travaille par petits groupes, on peut opter pour la formule suivante :
- A s’exprime.
- B reformule.
- C, D, etc. jugent si la reformulation est correcte et reformulent à leur tour si elle ne l’est pas à leurs yeux.
- A confirme ou corrige la reformulation finale.
- On refait la même chose avec B, puis C, etc.
Cette activité peut éventuellement aller plus loin en demandant aux participant·es de pratiquer une écoute active (hypothèse sur l’émotion de l’interlocuteur/trice et validation par celui/celle-ci) ou une écoute empathique (hypothèse sur le besoin ou la valeur de vie importante de l’interlocuteur/trice et validation par celui/celle-ci).
Activité adaptée à partir de : Université de Paix,https://www.universitedepaix.org/ce-que-tu-penses-ce-que-je-pense
Participation démocratique
Dans le cadre d’un cours d’éthique ou à dimension éthique, pourquoi ne pas introduire les étudiant·es à des techniques ou dispositifs de participation démocratique, par la pratique ? C’est une manière de rendre plus concrète l’éthique de la discussion, voire d’en saisir les difficultés.
L’objectif est ici de parvenir à une décision collective suite à un processus délibératif qui pourrait être utilisé pour des décisions politiques réelles (à l’échelon local ou national). Le sujet peut être déterminé par l’enseignant·e en fonction de son cours ou de ses objectifs pédagogiques.
Un outil intéressant, sur ce thème, a été créé par la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. Il s’agit d’un ensemble de fiches décrivant une diversité de mécanismes de participation citoyenne, classifiés en fonction de leur coût, de leur durée, du niveau de pouvoir visé, du public cible, etc. Vous trouverez le document pdf téléchargeable ici.
- Georg Lind, How to Teach Morality? Promoting Deliberation and Discussion, Reducing Violence and Deceit, Berlin, Logos Verlag, 2016, p. 13 ↩︎
- Nous renvoyons à l’ouvrage cité ci-dessus pour la méthodologie de mesure de la compétence morale et de l’impact de la KMDD sur cette compétence. ↩︎
- Traduit et adapté sur base de Georg Lind, op. cit., p. 165. ↩︎
- L’existence ou non d’un dilemme est une question de perception. L’idée est de proposer un cas éthique qui puisse apparaître comme un dilemme à certain·es. Bien entendu, d’autres n’y verront pas un dilemme, l’acte leur paraissant (à première vue) clairement bon ou mauvais, permis ou interdit. Voir Lind, op. cit., p. 21. ↩︎
- Notez cependant qu’un·e enseignant·e ne peut pas faire d’autopromotion en se réclamant de cette méthode sans avoir passé un certificat délivré par l’Université de Konstanz. ↩︎
- Ces exemples sont traduits et légèrement adaptés à partir de Lind, op. cit., p. 171-180. ↩︎
- Il ne s’agit pas ici de dénigrer la rhétorique, dont l’importance politique est assez peu controversée. Toutefois, dans un cours d’éthique, il nous semble que l’accent doit être plutôt placé sur la rationalité argumentative. On évitera donc de multiplier les appels aux émotions. ↩︎
- Georg Lind, How to Teach Morality? Promoting Deliberation and Discussion, Reducing Violence and Deceit, Berlin, Logos Verlag, 2016. ↩︎