Éthique et politique

Faut-il sanctionner le mensonge en politique ?

L’idée qu’un·e politicien·ne puisse mentir impunément ne manque pas de choquer la population, dès lors que la représentation démocratique se base largement sur la confiance accordée par les citoyen·nes aux représentant·es. D’un autre côté, on pourrait dire que la ruse et la tromperie font partie de la politique et ne sont pas condamnables quand elles sont mises au service de causes louables. Faudrait-il dès lors prévoir des sanctions légales s’appliquant lorsqu’un mensonge serait dévoilé publiquement ?

Questions empiriques : Cela inciterait-il à l’honnêteté ? Cela créerait-il plutôt une dynamique délétère d’accusations mutuelles incessantes ? Comment distingue-t-on un mensonge d’une omission, d’une erreur de jugement ou de l’ignorance ?

Questions normatives : Un·e politicien·ne a-t-il/elle le devoir de toujours dire la vérité ? La poursuite d’objectifs moralement appréciables justifie-t-elle l’usage de moyens a priori inacceptables ? Qui devrait statuer sur les accusations de mensonge ? Quel type de sanction serait approprié/inapproprié ? La sanction électorale éventuelle est-elle insuffisante ?

Ressources :

– Élise Frêlon, « La sanction juridique du mensonge politique : proposition de droit comparé dans le temps »Institut pour la justice, n° 8, avril 2015.

– Sabrina Laubisse, « L’exigence de vérité en démocratie est un leurre venu d’ailleurs »Revue politique et parlementaire, n° 1080, 16 novembre 2016.


Faut-il instaurer le droit de voter contre des candidat·es ?

Quand les citoyen·nes se rendent aux urnes, il leur est demandé d’exprimer une préférence positive pour l’un.e ou l’autre candidat·e. Cependant, beaucoup ont également des préférences négatives, des candidat·es qu’ils/elles ne souhaitent absolument pas voir accéder à une responsabilité politique. Or, les bulletins de vote traditionnels ne permettent pas l’expression de ce type de préférence. On pourrait considérer que c’est un problème car cela permet à certain·es candidat·es abhorré·es par une partie de la population d’être élu·es. La possibilité de voter pour et contre refléterait alors mieux les préférences de la population.

Questions empiriques : L’effet d’une telle mesure sera-t-il de privilégier les candidat.e.s médiocres, qui ne sont ni adulés par les uns, ni détestés par les autres, ou au contraire des candidat·es au caractère rassembleur ? Existe-t-il des alternatives permettant de mieux encore exprimer la complexité des préférences électorales ? (Découvrez le vote par évaluation.)

Questions normatives : Les votes doivent-ils capturer au mieux les préférences des électeur·trices ? Doivent-ils tenir compte de l’intensité des préférences ? Est-il souhaitable de réduire les chances des candidat·es radicaux·ales ou dérangeant·es ?


Faut-il payer les représentant·es politiques au revenu médian ?

Dans la plupart des démocraties existantes, les représentant·es politiques jouissent de salaires supérieurs au revenu médian. L’argument principal justifiant un salaire relativement élevé est la réduction des risques de corruption. Un autre argument est la volonté d’attirer vers la politique des catégories sociales susceptibles de bien mieux gagner leur vie dans un autre emploi. Certains jugent cependant que ces hauts salaires induisent un décalage entre les conditions de vie des représentant·es et de ceux et celles qu’ils/elles représentent, voire une incompréhension de la réalité sociale, qui atténuerait leur volonté de s’attaquer aux problèmes sociaux liés à la précarité. Des propositions existent donc pour abaisser les revenus des représentant·es de la population au revenu moyen, médian, ou encore au revenu minimum. Serait-ce moralement souhaitable ?

Questions empiriques : Les risques de corruption augmenteraient-ils vraiment ? Fortement ? Quels seraient les effets sur la répartition démographique des représentant·es ? Le fait d’avoir un salaire plus important que la moyenne réduit-il la préoccupation pour la précarité ? Entraîne-t-il une mécompréhension de celle-ci ?

Questions normatives : La lutte contre la corruption est-elle plus importante que la préoccupation pour la pauvreté ? Doit-on chercher à attirer vers la politique ceux et celles qui sont susceptibles de toucher des hauts revenus ? Doit-on au contraire considérer la politique comme un service qui ne peut être motivé par l’argent ?

Ressources :

– Agnès Verdier-Molinié, « Baisser le salaire des ministres et des fonctionnaires : vous avez dit démago ? »Fondation IFRAP, 27 mai 2010.

– « Le débat : faut-il mieux payer nos parlementaires ? »Le Parisien, 10 mars 2017.


Faut-il que les partis soient financés par l’autorité publique ?

Beaucoup s’inquiètent du rôle que joue l’argent dans les démocraties capitalistes. Faire campagne en vue de remporter une élection coûte cher, ce qui pose au moins deux problèmes. Premièrement, cela désavantage d’emblée les citoyen.ne.s issu.e.s de catégories sociales défavorisées qui voudraient lancer un parti ou se présenter à leur compte. Deuxièmement, cela permet à des groupes d’intérêts privés de s’acheter une influence politique en contribuant au financement de campagnes de certain.e.s candidat.e.s ou partis. La solution la plus radicale face à ces problèmes consisterait à interdire toute forme de financement privé des partis politiques, et à ne leur accorder qu’un financement public (dont les modalités de répartition resteraient à définir). Que faut-il en penser d’un point de vue éthique ?

Questions empiriques : Quelles sont actuellement les parts respectives de financement public et de financement privé dans les comptes des partis de notre pays ? Les partis pourraient-ils ne vivre que de subventions publiques ? Quelle serait l’augmentation des dépenses publiques nécessaire pour que les partis restent viables ?

Questions normatives : Les dons à des partis doivent-ils être considérés comme une forme de liberté d’expression ? L’État peut-il interdire à une association comme un parti de demander des cotisations à ses membres ? Peut-on faire porter par l’ensemble de ceux et celles qui contribuent aux impôts le poids du financement des partis ? Ceux qui ne se reconnaissent dans aucun parti devraient-ils être exemptés de payer les taxes nécessaires à ce financement public ? Et pour aller plus loin : le financement public des partis doit-il être conditionné au respect de certains principes démocratiques ou des droits humains ?

Ressources :

« Avantages et inconvénients du financement public des partis politiques et des candidats »ACE project.

Julia Cagé, Le prix de la démocratie, Fayard, 2018.


Faut-il instaurer des quotas de genre dans la composition du gouvernement ?

En raison de la domination masculine dans l’histoire de la plupart des sociétés humaines, la politique reste un domaine où les femmes sont généralement (largement) sous-représentées par rapport à leur proportion au sein de la population. Parmi les différentes mesures qu’on peut imaginer pour y remédier (comme l’éducation non genrée et les quotas de candidat·es sur les listes), des quotas de genre dans la composition du gouvernement apparaissent comme la mesure la plus forte. Que devons-nous en penser d’un point de vue éthique ?

Questions empiriques : Quelle est la proportion moyenne de femmes dans les gouvernements de notre pays ? Comment évolue cette proportion à travers le temps ? Peut-on raisonnablement croire que le problème finira par s’estomper sans recours à des quotas ? Quel serait l’effet de quotas officiels sur l’image d’elles-mêmes des membres féminines d’un gouvernement ? Sur leur image publique ? Quels sont les effets pervers de l’absence de parité ?

Questions normatives : La parité hommes-femmes est-elle essentielle à un gouvernement ? Les quotas sont-ils une bonne manière de promouvoir l’égalité ? 

Ressources :

Jane Mansbridge, « Should Blacks Represent Blacks and Women Represent Women? A Contingent « Yes » »The Journal of Politics, 61 (3), 1999, p. 628-657. Traduction française : https://shs.cairn.info/revue-raisons-politiques-2013-2-page-53?lang=fr


Faut-il faire du commerce avec les dictatures ?

De nombreux pays démocratiques se reconnaissent une obligation de promouvoir les droits humains dans leurs relations internationales et n’hésitent pourtant pas à maintenir des relations commerciales avec des régimes dictatoriaux bafouant largement ces droits humains. La question éthique est simple – est-ce moralement acceptable ? -, mais la réponse n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le penser, puisque les effets d’un boycott commercial ne sont pas forcément positifs pour la promotion des droits humains. Il semblerait en effet que l’isolement commercial d’un pays soit de nature à renforcer l’autorité de la dictature en place et dégrader les conditions de vie de ses habitants.

Questions empiriques : Quels sont les effets des blocus commerciaux (ou simples menaces) sur les conditions de vie des habitants ? Quels sont les effets sur le degré de protection des droits humains ? Sur la protection du régime en place (et des autres pays) par les citoyens ? Quels sont les autres moyens d’influence dans les relations internationales ? Le commerce a-t-il les vertus pacificatrices qui lui sont parfois prêtées ?

Questions normatives : Est-il préférable d’honorer les droits humains par un refus symbolique de commercer avec des dictatures ou de promouvoir ces droits par tous les moyens utiles ? Est-il moralement pertinent de s’inquiéter (ou de se réjouir) du fait que le commerce avec des dictatures soit aussi dans l’intérêt économique des démocraties impliquées ? Les exigences morales sont-elles pertinentes dans le domaine des relations internationales ? Existe-t-il un seuil minimal de respect des droits humains qui rendrait les relations commerciales (plus) acceptables ?

Source : 

Chris Armstrong, « Dealing with dictators« , The Journal of Political Philosophy, 24 octobre 2019. (Passage en revue de la littérature empirique pertinente et discussion approfondie des questions éthiques.)